Le piquet était déjà bien fourni et (très) dynamique ce matin, peu après 7h, quand nous arrivons aux portes de la crèche publique de Herstal. Pas mal de crèches de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont été touchées par des actions de grève et des arrêts de travail ce mercredi 26 avril. Partout, c’est le même constat : un métier qui pour beaucoup est avant tout une vocation devient méconnaissable. Les gens craquent face au manque de moyen et de collègues.
Une telle mobilisation du secteur de la petite enfance est inédite et, en région liégeoise, elle se situe dans le prolongement de la mémorable grève des services publics du vendredi 10 mars. Les crèches publiques y avaient alors été fermées durant toute la semaine ! De mémoire de puéricultrice, on n’avait jamais vu ça.
C’est ce que souligne Huberte, qui a derrière elle 40 ans de carrière dans le secteur. « La charge est de plus en plus lourde, ça fait longtemps que les choses empirent. Mais il faut se rendre compte que le personnel est prisonnier d’une sorte de chantage affectif : on doit tout accepter « pour le bien-être des enfants, des familles ». Et on se laisse prendre au jeu. Alors on tire sur la corde. Et on se retrouve à gérer une multitude de fonctions sans les moyens qui vont avec. On ne peut tout simplement pas réaliser tout ce qu’on nous demande. » Suzanne, technicienne de surface solidaire résume les choses ainsi : « On devrait être des pieuvres, avoir 8 bras et aller partout. Plus on avance, plus on nous demande. Il faut alléger la charge de travail. » Une puéricultrice dénonce : « On a déjà des jeunes qui ont des problèmes de dos, c’est impossible de tenir. » Et quand quelqu’un tombe en arrêt maladie, le personnel manque encore plus. Un cercle vicieux.
Pour Valérie, déléguée FGTB, la pandémie a constitué un véritable point tournant. « Le covid a illustré tous les manquement, la mobilisation vient aussi de là. D’ailleurs, on a été parmi les premières à coudre des masques en tissu. » L’entrée en action collective s’est inscrite logiquement dans la foulée de cette initiative solidaire.
Un métier essentiel
Quasiment toutes les puéricultrices en grève avec lesquelles nous avons discuté parlent du manque de reconnaissance du métier. Huberte développe un exemple concret : « On doit gérer un goûter. Si un ou une veut aller aux toilettes, on doit délaisser tout le groupe d’enfants et si un parent arrive, on doit s’en occuper aussi. On est dans l’éclatement permanent des tâches, toute la journée. C’est stressant, et viennent encore s’ajouter les pleurs et l’activité des enfants. C’est un métier très lourd qui est fort méconnu. »
Mais l’essentiel de la reconnaissance bien entendu doit venir des autorités : « On veut plus de reconnaissance de manière globale. On n’écoute pas assez les gens de terrain. Quand l’ONE ou la FWB débarquent, c’est pour discuter avec la direction. Qu’ils viennent gérer 9 enfants en étant seul, on verra bien sur quelle base on discute après ! » Car si l’actuelle norme d’encadrement dans les crèches est d’une personne pour 7 enfants, il est question de passer à un ratio de 1 pour 9. Sur le piquet, les avis sont unanimes, c’est tout simplement se moquer du personnel et des enfants. « On est un service public, pas un asservissement public », synthétise Huberte.
Luttons tous ensemble !
Antonia, jeune militante syndicale fraichement devenue déléguée souligne aussi les pensions et l’absence de solutions pour aménager les fins de carrière. On pense de suite à la France et au combat contre la réforme des retraites qui a été capable d’attirer dans la lutte de larges couches de la société. « On ne sait pas s’ils vont gagner, mais on devrait faire comme là. » Sa camarade Valérie renchérit : « Lors des formations syndicales de la FAR (Form’action André Renard, centre de formation liégeois de la FGTB, NDLR), on échange avec les autres délégués, on se rend bien compte que le manque de moyens, il est partout. » D’ailleurs, comme pour souligner le potentiel d’une lutte commune, les CPAS étaient en action hier, la petite enfance aujourd’hui et l’enseignement francophone demain. Les points communs ? Le manque de moyens, le manque de collègue et la surcharge de travail.
Il nous faudrait un bon plan d’action discuté à la base pour regrouper les différentes initiatives et leur donner une perspective de victoire. C’est vrai, les échéances électorales de 2024 approchent, et certains peuvent avoir l’impression qu’il faut attendre ce que les urnes vont donner. Mais simplement attendre sans rien faire serait une erreur : la meilleure manière d’imposer nos inquiétudes et nos revendications au centre du débat public, c’est une action collective audacieuse, avec des revendications claires, pour construire le rapport de force capable d’aller chercher l’argent là où il est.