[Dossier] Une approche féministe socialiste de la crise du covid-19

Cette crise met en évidence l’important rôle joué par les femmes en tant que dispensatrices de soins non-rémunérées au sein des familles et des communautés d’une part et, d’autre part, en tant que travailleuses salariées dans des secteurs systématiquement dépréciés et caractérisés par de bas salaires, la précarité et de mauvaises conditions de travail.

La crise du covid-19 a frappé le monde de plein fouet. Les travailleuses et travailleurs de la santé sont aujourd’hui le principal atout de la société pour lutter contre cette pandémie. Pourtant, ces dernières années, leur voix n’a jamais été entendue alors qu’elles et ils réclamaient à grands cris plus de personnel et plus de moyens à travers le monde par des grèves et des mouvements de lutte. Aujourd’hui, ce personnel paie un lourd tribut : parmi les infections testées en Italie, 10 % concernent des travailleuses et travailleurs de la santé. Mais alors que les riches pouvaient se faire dépister, la plupart du personnel de la santé ne le pouvait pas ! Cette caractéristique de la crise se retrouve partout, et pas seulement en Italie. Des États-Unis à la Grande-Bretagne en passant par la Belgique, le personnel soignant se demande publiquement s’il est infecté ou non, s’il est en train d’infecter des patients, des collègues et des proches. Deux infirmières italiennes se seraient suicidées après avoir été testées positives au coronavirus.

Déclaration du bureau femmes d’Alternative Socialiste Internationale et ROSA international

La vie de millions de personnes a radicalement changé ces dernières semaines, alors que de plus en plus de pays se trouvent dans une situation de confinement (partiel) et que de plus en plus de personnes doivent rester chez elles. La différence est bien entendu énorme entre être confiné dans un petit appartement avec ses enfants et être confiné dans un immense manoir avec de vastes espaces extérieurs, comme l’ancien gouverneur de Californie et acteur Arnold Shwarzenegger par exemple. La plupart des gens ne disposent que d’un espace extrêmement limité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ! Sans oublier les millions de sans-abris, les millions de réfugiés piégés dans des camps sans véritable accès à l’eau et au savon et sans accès aux soins ou encore les innombrables communautés qui n’ont pas facilement accès à l’eau potable et à des installations sanitaires. Au Brésil, par exemple, 60 % de la population ne dispose pas d’infrastructures sanitaires adéquates.

La pandémie de covid-19 n’a évidemment pas le même impact sur tout le monde. Tout le monde peut être infecté, c’est vrai, mais les chances de survie sont bien plus faibles pour les pauvres à la santé généralement plus fragile, ce qui entraîne une résistance moindre face aux virus. Dans des pays comme l’Afrique du Sud, où la tuberculose est très répandue parmi les pauvres, ce virus peut avoir un effet bien plus dévastateur. Au Brésil, ce n’est pas une coïncidence si l’une des premières personnes décédée du virus était une femme noire qui travaillait comme femme de ménage – les femmes noires étant parmi les plus pauvres de la population.

Mais il existe également un aspect lié au genre : les femmes sont clairement parmi celles qui subissent les pires effets de la crise. « Les retombées du coronavirus pourraient être pires pour les femmes que pour les hommes », déclare d’ailleurs le Forum économique mondial. Bien que les données chinoises suggèrent que plus d’hommes que de femmes meurent de la maladie, ce sont les femmes qui en font les frais, car elles constituent la majorité des travailleurs de la santé ainsi que de ceux qui assurent la majorité des soins au sein des familles et des communautés, ce qui les rend plus vulnérables à l’infection, comme l’a montré l’expérience des épidémies dans le passé.

L’épidémie d’Ebola de 2014-16 en Afrique de l’Ouest a montré que la position prédominante des femmes dans le travail des soins impliquait qu’elles étaient plus susceptibles d’être infectées, sans pour autant pouvoir influencer les prises de décision. Le peu de ressources disponibles dans le secteur de la santé a été concentré sur la lutte contre le virus, ce qui a entraîné une nouvelle dégradation de l’infrastructure sanitaire pour d’autres problématiques. De là a entre autres découlé une forte augmentation du nombre de femmes qui sont décédées en accouchant. Cela risque de se reproduire à nouveau lorsque le virus frappera le monde néocolonial.

Avec la fermeture des écoles et d’autres services publics, la majorité des travaux domestiques supplémentaires repose sur les épaules des femmes. On s’attend également à ce que le confinement provoque un pic de violence domestique – physique, sexuelle, psychologique – envers les femmes ainsi que les enfants et les jeunes LGTQI+. Comme les femmes sont généralement surreprésentées dans les contrats de travail temporaires et précaires dans des lieux aujourd’hui fermés tels que les bars et les restaurants ou les magasins non alimentaires, nombre d’entre elles ne profiteront pas des mesures instaurées pour protéger les emplois et les revenus. Elles ont simplement perdu leur emploi.

Cette crise met en évidence la position de faiblesse des femmes sur le marché du travail et dans la société capitaliste dans son ensemble. Cela met également en lumière l’important rôle joué par les femmes en tant que dispensatrices de soins non-rémunérées au sein des familles et des communautés d’une part et, d’autre part, en tant que travailleuses salariées dans des secteurs systématiquement dépréciés et caractérisés par de bas salaires, la précarité et de mauvaises conditions de travail. La situation actuelle démontre à quel point elles sont indispensables. Cette crise a aussi démontré de manière limpide l’absolue incapacité de l’establishment capitaliste à faire face à un tel danger sanitaire. La plupart des mesures finalement adoptées – systématiquement trop peu et trop tard – étaient une réflexion de ce qui avait été appliqué sur le terrain par les travailleurs. Les gouvernements et les patrons ont toujours été à la traîne.

Avec l’austérité, les travailleuses et travailleurs de la santé sont des soldats sans armes adéquates

Les femmes constituent la majorité des travailleurs du secteur de la santé et des services sociaux : 70% dans 104 pays analysés par l’Organisation mondiale de la santé. Dans la région du Hubei, où le virus s’est déclaré pour la première fois, 90 % du personnel est composé de femmes. En Belgique, elles représentent 80 % dans les hôpitaux, et plus de 90 % dans les maisons de repos et les crèches.

Le travail dans le secteur des soins et le travail social est largement considéré comme le prolongement des compétences « naturelles » des femmes. En fonction de cette approche, pas besoin d’un salaire décent. En général, les salaires de ces secteurs sont inférieurs à la moyenne. Or, ces fonctions sont clairement vitales, non seulement pour les infirmières et les médecins hautement qualifiés, mais aussi pour les travailleuses et travailleurs les moins bien payés, dans le nettoyage par exemple, personnel sans lequel tous les secteurs devraient fermer. Il est désormais évident que les emplois les moins bien rémunérés sont souvent parmi les plus utiles et les plus précieux.

Pays après pays, à des moments précis, la population applaudit le personnel de la santé depuis les fenêtres et les balcons. Le groupe d’action pour les soins de santé La Santé en Lutte a répondu à cet acte de solidarité et de soutien en disant « Merci pour vos applaudissements, mais nous vous demandons de ne pas oublier ce qui se passe maintenant et de nous soutenir dans les mobilisations futures. Dès que le confinement sera terminé, nous aurons quelque chose à dire et à faire. Et nous aurons besoin de vous ».

Le nombre de décès dus au virus est fortement influencé par l’état du secteur des soins de santé. Partout dans les pays capitalistes développés, des décennies de réduction des soins de santé ont créé une situation où il n’y a pas assez de lits d’hôpitaux. Où le personnel est surchargé de travail et était déjà frappé par une épidémie de maladies liées au travail bien avant le début de cette crise. Où les installations de dépistage sont largement insuffisantes. Cette situation n’a pas seulement été provoquée par des réductions budgétaires. Elle s’inscrit également dans la volonté délibérée de marchandisation et de privatisation de la part des gouvernements néolibéraux successifs, ce qui a créé un secteur privé de la santé axé sur la recherche de profits à côté de soins de santé publics exsangues… Des pays comme l’Italie ont réduit le nombre de lits d’hôpitaux de 10,6 lits pour 1000 personnes en 1975 à 2,6 aujourd’hui ; en France, il est passé de 11,1 lits pour 1000 en 1981 à 6,5 en 2013. Dans les pays en développement, il n’y a jamais eu de bons soins de santé. Enumérer les pays qui ont moins d’un lit d’hôpital pour 1000 personnes revient à énumérer le pays du monde néocolonial. Lorsque ce virus se propagera sur des continents comme l’Afrique, les résultats seront catastrophiques.

La Corée du Sud semble être le seul pays à avoir maintenu ses installations de test en nombre suffisant pour éviter un confinement afin de contenir l’infection, alors que les pays européens et les États-Unis sont entrés dans cette crise sans aucune préparation. En Belgique, la réserve stratégique de masques chirurgicaux a été détruite en 2019 après avoir été rendus inutilisables en raison de mauvaises conditions de stockage à cause de décisions du ministère de la défense. Pour des raisons budgétaires, le gouvernement de droite a décidé de ne pas renouveler les stocks, suite à quoi même les travailleurs de la santé se sont retrouvés sans protection dans les premières semaines de l’épidémie.

Les photos d’infirmières épuisées, avec des marques de leurs masques et des lunettes de protection imprimées sur leurs visages, deviendront des images emblématiques liées à cette crise. Nous devons nous assurer que cela ne sera pas oublié. L’establishment était parfaitement au courant du manque de personnel dans le secteur de la santé. Partout dans le monde, nous avons assisté à d’importants mouvements de grève ces dernières années. En France, l’année dernière, une grève massive s’est étendue à presque toutes les unités d’urgence, mais comme ailleurs, le gouvernement a réagi en poursuivant la politique d’austérité et de commercialisation accrue du secteur.

Les travailleuses et travailleurs de la santé du monde entier sont maintenant confrontés à une situation où le travail en double shift est devenu la nouvelle norme. On s’attend à ce que la crise actuelle du secteur soit suivie d’une crise de burnout du personnel. Si le secteur résiste à cette crise, ce ne sera pas grâce à l’establishment, mais grâce aux énormes sacrifices du personnel, y compris les travailleuses et travailleurs qui nettoient et désinfectent les hôpitaux et autres établissements de soins.

Le droit à l’avortement sous pression

En luttant contre cette pandémie, le secteur n’est pas capable d’assurer différents services comme en temps normal. Tous les soins non essentiels et non urgents sont reportés. Certains États américains utilisent la situation pour inclure l’avortement dans les soins non essentiels. Il est évident qu’il faut s’opposer à cela ! Il faut faire pression immédiatement, comme l’ont fait les organisations de femmes brésiliennes en mai dernier, lorsque le gouverneur de São Paulo a décrété la fermeture d’un des rares hôpitaux qui pratiquent des avortements dans les cas où la loi le permet – quelques jours plus tard seulement, il a rouvert.

Les femmes qui souhaitent avorter tôt dans la grossesse devraient pouvoir obtenir des ordonnances pour des pilules abortives par un simple appel téléphonique ou en ligne. Les avortements tardifs devraient être inclus dans les soins urgents. De la même manière, les femmes sous traitement de fertilité devraient pouvoir les conserver.

Au Royaume-Uni, ces droits sont refusés, tout à fait inutilement. En fait, en Irlande, des mesures ont été prises pour permettre l’accès aux pilules abortives par téléphone, en raison de la pression exercée par la base, ce qui montre que cela pourrait être le cas en temps « normal ». Nous devrions exiger que cela continue après que la pandémie se soit calmée !

Les mesures de protection mises en place dans les hôpitaux conduisent à une situation où les femmes doivent accoucher seules, leur partenaire n’étant pas autorisé à entrer. Au même moment, les patients âgés meurent seuls dans les maisons de repos et dans leurs maisons car aucun visiteur n’est autorisé. Seul l’accès au dépistage pourrait contribuer à prévenir ces expériences traumatisantes. Dans la situation actuelle où les tests sont souvent confiés à des laboratoires privés, les personnes prioritaires ne sont pas celles qui en ont le plus besoin, mais celles qui ont les moyens de les payer !

Dans de nombreux pays, les personnes âgées infectées par le virus ne sont même pas amenées à l’hôpital car il y a peu d’espoir qu’elles survivent et les hôpitaux se remplissent. Le fait que la société soit obligée de porter un jugement aussi brutal et inhumain est une mise en accusation du capitalisme en soi !

Les « soldats » qui maintiennent la société à flot en ces temps difficiles ne sont pas seulement les travailleuses et travailleurs de la santé : distribution alimentaire, nettoyage sur les lieux de travail essentiels, transports publics, travail social,… sont tous jetés au travail, avec souvent une charge de travail accrue, des double shifts,… Les mesures adoptées pour les protéger contre l’infection n’ont généralement pas été prises par les autorités ou les patrons, mais ont dû être imposées d’en bas par les syndicats et les travailleurs.

Une fois que le premier pic de la pandémie sera derrière nous et que les gouvernements passeront de l’injection massive de fonds à la présentation de la facture à la majorité de la population, nous devrons intensifier la lutte pour obtenir davantage de moyens publics dans le secteur des soins de santé et pour des contrats stables et décents et un salaire minimum afin d’éradiquer les bas salaires et nous débarrasser de la logique néolibérale selon laquelle les seuls emplois qui valent des salaires décents sont ceux qui produisent des profits pour les super-riches.

La surreprésentation des travailleuses sous contrat précaire fera perdre leur emploi à beaucoup d’entre elles

Une lutte est en cours sur les lieux de travail qui ne sont pas essentiels pour combattre cette crise. Les travailleuses et travailleurs ne sont pas prêts à prendre le risque d’être infectés ou d’infecter leur famille afin de maintenir les profits. Elles et ils exigent donc des régimes de chômage technique. Mais dans de nombreux secteurs fermés – des secteurs fortement féminisés comme l’hôtellerie, les magasins non alimentaires,… – il n’y a pas de contrats stables et elles et ils ont été mis au chômage. Dans le meilleur des cas, cela implique de se tourner vers des régimes de sécurité sociale et d’assistance sociale qui ont été vidés par des décennies de sous-investissement et d’austérité brutale à la suite de la crise financière et économique de 2008.

Dans des pays comme la Belgique, les allocations sociales, dont le chômage, sont souvent en dessous du seuil de pauvreté, surtout lorsqu’il s’agit d’une conjointe ou d’un conjoint vivant avec un partenaire salarié. Partout dans le monde, les femmes ont été les principales victimes de la chasse aux chômeurs et elles n’ont droit à aucune allocation ou alors seulement à une somme dérisoire. Cette attaque massive contre les revenus des familles de la classe ouvrière les a également rendues plus dépendantes de leur partenaire, quand elles en ont un. Les familles monoparentales (soit 22 % des familles avec enfants aux Pays-Bas) sont condamnées à la pauvreté en raison d’une combinaison de bas salaires et de faibles allocations sociales d’une part et de loyers élevés d’autre part. Les femmes sont très majoritairement à la tête de familles monoparentales (90 % en Grande-Bretagne, par exemple).

Comme la crise du covid 19 a conduit à la crise économique au développement le plus rapide de tous les temps, nombre d’entre elles ne trouveront pas de nouveaux emplois car un nombre important des entreprises fermées, surtout les petites entreprises, feront faillite dans les mois à venir.

Le travail à domicile en présence des enfants introduit le concept de « burnout parental ».

Avec un recours massif au télétravail pour ceux qui en sont capables, de nombreux travailleurs, principalement des femmes, sont maintenant confrontés à l’obligation de travailler à domicile en présence de leurs enfants. En temps normal, les femmes doivent faire face à leur travail domestique après leur travail salarié : aller chercher les enfants à l’école, faire les courses, préparer la nourriture, laver, aider les enfants à faire leurs devoirs,… Aujourd’hui, de nombreux parents de jeunes enfants sont obligés d’effectuer leurs heures de travail salariées en même temps que les longues journées à s’occuper de leurs enfants. Comme l’a rapporté dans la presse une mère belge de deux enfants en bas âge : « Je mets le réveil à 4 heures du matin pour pouvoir travailler ». Les blogs montrent que de nombreuses femmes sont sous pression et ont le sentiment de ne plus pouvoir faire quoi que ce soit de bien : elles ne sont pas performantes dans leur travail et ont en même temps le sentiment d’être de mauvaises mères.

Selon les chiffres du Forum économique mondial, en temps normal, les femmes assurent 76,2 % des soins et services non rémunérés au sein de la famille. Cela s’inscrit dans une tradition introduite il y a des siècles: l’oppression des femmes a commencé par les premières sociétés de classe dans l’Antiquité, qui les ont poussées hors de la sphère productive, les ont mises sous contrôle et les ont rendues dépendantes du chef de famille masculin.

Mais la société capitaliste a adapté l’oppression des femmes et le sexisme institutionnalisé à ses propres besoins. Elle renforce celle-ci au quotidien dans tous les domaines de la vie. Avec le manque de services abordables et de qualité qui permettent aux femmes travailleuses de combiner travail et famille. Avec les bas salaires des femmes qui entrainent qu’il soit logique que, dans un couple, ce soit à la femme de mettre sa carrière sur pause lorsque l’éducation des enfants exige qu’un parent soit plus présent à la maison. La tradition et la réalité matérielle se mélangent pour maintenir les femmes dans la position du travail non rémunéré au sein des familles.

La fermeture des écoles dans de nombreux pays a maintenant énormément augmenté le nombre d’heures consacrées à cette partie de la double journée de travail des femmes. Les syndicats doivent faire pression dès maintenant pour remettre en question l’idée que les travailleurs peuvent simultanément effectuer leurs heures de travail normales tout en ayant la charge de leurs enfants à plein temps. Dans un premier temps, il convient de réduire leur temps de travail en leur accordant un certain nombre de jours gratuits par semaine sans perte de salaire (en évitant de diminuer le temps de vacance normal), et en réduisant la productivité qu’on attend d’eux. À plus long terme, cette prise de conscience accrue de la charge parentale devrait être mise à profit pour lutter pour le droit des parents d’être à la maison sans perte de salaire lorsque leurs enfants sont malades ou ne peuvent pas aller à l’école ou à la garderie, et pour les installations récréatives publiques pour les enfants et les jeunes pendant les vacances scolaires d’été.

Le fait que l’éducation soit l’un des secteurs de la société qui a été ravagé par l’austérité, avec des records de sous-effectifs battus année après année, fait qu’il est difficile de mettre en place des systèmes de scolarisation à domicile qui ne demandent pas aux parents d’aider leurs enfants, même si les moyens technologiques pour le faire sont bien plus présents qu’ils ne l’ont jamais été. Dans le secteur de l’enseignement très féminisé, une majorité d’enseignants se retrouvent à la maison avec leurs enfants et ne peuvent se concentrer sur le développement de méthodes pour la période du confinement.

Les enseignants tirent maintenant la sonnette d’alarme pour les groupes massifs d’élèves et d’étudiants qui sont laissés pour compte, les plus pauvres d’entre eux n’ayant pas les outils nécessaires – ordinateurs, connexion internet,… – pour suivre et/ou n’ayant pas de parents capables de les aider en raison de leurs horaires de travail ou du fait qu’ils ont un niveau bas d’éducation et/ou qu’ils ont une autre langue que celle de l’école. Alors que dans les années 1960 et 1970, la démocratisation de l’éducation dans les pays capitalistes avancés a permis à de nombreux jeunes de la classe ouvrière d’obtenir des qualifications supérieures à celles de la génération de leurs parents, le système d’éducation limité d’aujourd’hui n’obtient pas de tels résultats, mettant davantage l’accent sur les différences sociales que sur la nécessité de les surmonter. Cette crise ne fera qu’empirer les choses.

Dans de nombreux pays, alors que les classes sont supprimées, les écoles restent ouvertes aux enfants des travailleuses et travailleurs essentiels. Mais de nombreuses familles refusent d’y placer leurs enfants en raison de l’insécurité massive due à l’absence de tests de dépistage. Les écoles devront rouvrir à un moment donné, mais il faut résister la réouverture des écoles par des gouvernements de droite « sous prétexte économique » et dans l’intérêt des entreprises. Il ne peut être question de réouverture que si cela peut se produire dans des conditions de sécurité, avec un dépistage massif et répété et avec des moyens de protection contre l’infection tant pour le personnel que pour les élèves. Un plan de réouverture devrait être élaboré avec les représentants du personnel, les syndicats, les organisations de parents et les élèves : ce sont eux qui peuvent gérer la situation dans les intérêts de la société en pas pour garantir les profits des entreprises.

Tant qu’ils ne rouvrent pas, un « épuisement parental » généralisé se développe, les parents épuisés effectuant des semaines entières au-dessus de leurs possibilités. La Ligue des familles en Belgique écrit : « si cette situation perdure, de nombreux parents vont craquer et il est préférable d’assurer immédiatement un certain nombre de jours libres à prendre en alternance par les parents quand c’est possible, plutôt que d’être confronté à une série de burnouts dans quelques semaines (…) avec des parents risquant l’épuisement professionnel comme parental ». (20 mars, Le Ligueur)

Outre les risques pour la santé mentale des parents, les institutions de protection de l’enfance craignent une aggravation des tensions dans de nombreuses familles, mettant ainsi les enfants en danger. Pour les familles qui ont déjà été suivies par les services sociaux en raison de situations problématiques, beaucoup de ces services ont fermé ou doivent travailler dans des conditions très difficiles. Nous voyons également les premiers rapports de tensions croissantes venant de jeunes LGBTQI+ maintenant confinés chez leurs parents qui ne les acceptent pas.

La situation n’est pas meilleure pour les parents qui travaillent dans des secteurs qui sont encore ouverts. Non seulement dans le secteur de la santé, mais aussi, par exemple, dans le secteur de la distribution alimentaire ou dans les services de nettoyage, les travailleurs sont aujourd’hui en double shift, et doivent encore accomplir leurs tâches domestiques avec des enfants qui ont été à l’école, mais sans avoir suivi de cours et ayant besoin d’attention.

La violence domestique atteint un pic quand les femmes sont confinées avec leurs agresseurs

Déjà avant le déclenchement de la crise, China Worker a fait état d’une enquête menée par la Fédération des femmes de Chine, contrôlée par le régime, qui a révélé que 24,7 % des femmes mariées âgées de 24 à 60 ans subissaient des violences conjugales de la part de leur conjoint. « Moins de 4 % des plaintes pour violence domestique ont été retenues et les moins de 20 % de ces victimes ont réussi à obtenir une demande d’ordonnance de restriction ».

L’isolement à la maison signifie maintenant qu’elles sont enfermées avec leurs agresseurs. « Les ONG ont signalé une augmentation de la violence domestique. Mme Cao, une femme battue par son petit ami dans la ville de Shenzhen, au sud du pays, a téléchargé à Weibo sa conversation avec un médiateur de la police après qu’il l’ait exhortée à abandonner l’affaire : « Il a un bon travail », dit-on. « Voulez-vous vraiment le ruiner ? », selon The Economist (7 mars 2020). Les protestations de toutes sortes sont lourdement réprimées par la dictature, mais les Chinoises fulminent massivement en ligne.

Pour ne citer qu’un exemple, l’ONG Blue Sky, qui lutte contre la violence domestique dans le comté de Lijian à Hubei, a reçu un total de 175 rapports de violence domestique en février, soit trois fois plus que le nombre de plaintes reçues en février 2019. Les restrictions de voyage rendent encore plus difficile qu’en temps normal d’échapper à leurs agresseurs. Les tribunaux, les services de conseil et les services juridiques sont devenus largement inaccessibles et si les victimes peuvent déposer des plaintes pour violence domestique en ligne, celles qui ne sont pas familiarisées avec l’internet sont désavantagées. L’aide aux victimes étant largement laissée aux ONG, ces organisations s’inquiètent du fait que puisque la crise actuelle est suivie d’une crise économique qui a déjà commencé, il sera difficile d’obtenir les fonds nécessaires pour aider les victimes à s’en sortir.

La situation n’est pas différente dans les autres pays confrontés à la pandémie. Aux États-Unis, la ligne d’assistance téléphonique nationale contre la violence domestique a reçu un nombre croissant d’appels de victimes avant même l’adoption des mesures de confinement. Katie Ray-Jones, PDG de la ligne d’assistance, a rapporté dans le magazine Time que les agresseurs utilisent l’épidémie de virus pour isoler leurs victimes encore plus que d’habitude. Dans l’État brésilien de Rio de Janeiro, les services judiciaires ont signalé le 24 mars qu’ils avaient enregistré une augmentation de 50 % des rapports de violence domestique. Dans un pays qui a déjà un taux très élevé de violence domestique, 33,46% selon l’OCDE, c’est une augmentation très alarmante.

En Espagne, qui a connu des mouvements massifs et des grèves contre la violence sexiste, les organisations de femmes et les institutions qui s’occupent du problème de la violence domestique sont extrêmement inquiètes. La pression exercée par les mouvements de ces dernières années a conduit le gouvernement des îles Canaries à lancer une campagne d’aide aux victimes, appelée Mascarilla-19. Les refuges restent ouverts, mais il est encore plus difficile, dans la situation actuelle, d’entrer en contact avec les victimes. Mascarilla-19 est un code que les victimes peuvent utiliser lorsqu’elles se rendent à la pharmacie : vous le demandez et laissez votre adresse pour que les pharmaciens puissent contacter les services d’aide. Dans toute l’Espagne, les tribunaux resteront ouverts et traiteront en priorité les signalements de violence domestique.

Différents rapports provenant de plusieurs pays montrent que les refuges pour femmes, dans la plupart des pays, basés sur des ONG plutôt que sur des institutions publiques, étaient généralement déjà pleins avant que cette épidémie n’ait lieu. En Belgique, des listes d’attente existent même dans des situations normales, ce qui signifie qu’il peut s’écouler des semaines, voire des mois, avant qu’une place ne soit libérée. Non seulement ces refuges sont pleins, mais en plus, partout dans le monde, ils représentent d’énormes défis à pour maintenir une distanciation sociale et les sécuriser.

Alors que dans certains pays, les rapports ont augmenté, comme aux États-Unis avant les mesures de fermeture, dans de nombreux pays, ils ont en fait diminué. De nombreuses ONG françaises qui aident les victimes de violence domestique signalent que ce n’est pas parce que le problème a diminué, mais parce que leurs agresseurs sont à la maison jour et nuit, ce qui rend extrêmement difficile aux victimes de demander de l’aide car, en temps normal, les victimes appellent généralement les services lorsque leurs agresseurs sont partis travailler. Solfa, une association de femmes de Lille, en France, a rapporté dans Le Monde (25 mars) qu’elles « n’osent pas téléphoner aux femmes que nous suivons habituellement par peur de prendre le risque de les dénoncer », maintenant que leurs agresseurs peuvent être à la maison à tout moment. Les associations féministes en France demandent que l’on mette d’urgence des hôtels et d’autres établissements à disposition pour aider les victimes.

Il faudra faire pression pour que des mesures d’urgence soient prises pour faire face à cette crise dans la crise. Le stress et l’insécurité énormes dans lesquels se trouvent un grand nombre de personnes ne vont pas seulement aggraver la situation des femmes et des enfants dans les relations abusives déjà existantes, mais risquent de créer des problèmes dans des relations qui n’étaient pas abusives auparavant.

Qui va payer la crise ? Préparons-nous à nous battre !

Hier, les infirmières et autres personnels du secteur de la santé, les travailleuses et travailleurs du secteur de la distribution, du nettoyage,… étaient des travailleurs dépréciés, confrontés à une lourde charge de travail en étant obligés, année après année, de faire plus à moins. Ces « secteurs féminins » traditionnels sont tous sous-payés et confrontés à des contrats précaires car ceux-ci sont beaucoup moins rentables que les secteurs industriels où les hommes représentent encore la majorité de la main-d’œuvre. Aujourd’hui, le personnel de ces « secteurs féminins » font partie des héros de la nation face à cette crise sanitaire massive. Les politiciens qui applaudissent aujourd’hui hypocritement les travailleuses et travailleurs de la santé seront demain, après le premier pic du virus, confrontés aux revendications des travailleurs pour un salaire et des conditions de travail décents, pour plus de personnel et pour un investissement public massif dans les soins de santé.

Cependant, l’injection massive d’argent dans l’économie pour empêcher l’effondrement total qui a maintenant commencé partout dans le monde vise principalement à maintenir l’économie en marche plutôt qu’à renforcer le tissu social indispensable que ces secteurs fournissent. Une fois le premier pic passé, les plans de relance auront porté la dette de l’État à des niveaux nouveaux et sans précédent. La crise économique est déjà plus profonde que celle de 2008, elle ressemblera plutôt à la dépression économique des années 1930. Alors que partout, les travailleurs, et en particulier ceux des services publics et des soins de santé, continuent de payer le prix de la crise de 2008 et de la dure austérité qui a suivi.

L’establishment capitaliste va présenter la facture de cette nouvelle crise à la classe ouvrière et aux couches les plus pauvres de la population. Dans de nombreux États, les gouvernements ont obtenu des pouvoirs spéciaux, des mesures restrictives spéciales ont été introduites pour imposer une distanciation sociale, notamment l’interdiction d’actions, de manifestations et de grèves. Nous devrons combattre ces restrictions lorsqu’elles seront utilisées non pas pour contenir la propagation du virus, mais pour contenir les protestations et la colère qui se développent contre leurs nouveaux plans d’austérité.

Les travailleurs des secteurs très féminisés de la santé, de l’éducation, du commerce de détail,… ont été au premier plan des luttes de la classe ouvrière contre l’austérité qui a suivi la crise de 2008, le mouvement des femmes a été au premier plan d’une lutte généralisée contre le néolibéralisme et les politiques asociales dans de nombreux pays d’Amérique latine, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord,… La lutte « covid-19 » va reléguer ces luttes au second plan, car les gens ordinaires doivent maintenant réorganiser leur vie pour lutter contre la propagation du virus. Mais ils reviendront en force une fois que la première période de chaos sera terminée.

Les féministes socialistes doivent s’organiser pour défendre les revendications des travailleuses qui réclament des investissements massifs dans ces emplois non rentables mais absolument indispensables. Le message doit être clair : le travail de soins ne peut être commercialisé ni mis au régime sans perdre beaucoup de son efficacité pour les larges couches de la population ! Nous devons proposer des revendications et des stratégies de lutte sur base de cette nouvelle conscience du rôle du travail des femmes – rémunéré ou non – sur les lieux de travail, dans la famille et dans les communautés, car tous les rapports montrent que dans les nombreux groupes d’aide spontanée qui se mettent en place, les femmes en constituent la majorité. Nous devons aider à faire mieux comprendre la situation de double oppression (en tant que femmes et en tant que travailleuses) et de violence à laquelle les travailleuses sont soumises sous le capitalisme.

Les partis capitalistes et leurs figures publiques féministes n’auront pas de réponses, car le renforcement et la valorisation du travail des femmes réduiraient les profits de la minuscule minorité de milliardaires qu’ils défendent et représentent.

Seul un monde où les besoins de la population sont assurés par un effort collectif sera en mesure de faire face efficacement à de telles crises sanitaires. Et seule une telle société est en mesure d’émanciper la majorité des femmes. Ce ne peut être qu’une société socialiste, où la classe ouvrière unit toutes les couches opprimées au sein d’une lutte pour prendre le contrôle de la société des mains de la classe des milliardaires afin de pouvoir utiliser la production mondiale pour satisfaire les besoins du monde. Voilà le monde pour lequel nous nous battons : aujourd’hui souvent isolés dans nos maisons, demain de retour dans les rues !


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ROSA organise des actions, des événements et des campagnes pour combattre le sexisme et le système qui l’entretient : le capitalisme.