« Cyberharcelée, 10 étapes pour comprendre et lutter » La violence patriarcale 2.0, une violence tout sauf virtuelle

“Un livre d’utilité publique”, souligne le texte de présentation en couverture. Ce n’est pas une exagération. Le phénomène du cyberharcèlement misogyne est mal connu et trop souvent minimisé. L’autrice, Florence Hainaut, est devenue experte sur le sujet à partir de la politisation de sa propre expérience en tant que journaliste. Elle fait partie de ces […]

“Un livre d’utilité publique”, souligne le texte de présentation en couverture. Ce n’est pas une exagération. Le phénomène du cyberharcèlement misogyne est mal connu et trop souvent minimisé. L’autrice, Florence Hainaut, est devenue experte sur le sujet à partir de la politisation de sa propre expérience en tant que journaliste. Elle fait partie de ces 73% de femmes journalistes qui ont subi une violence en ligne dans le cadre de leur travail (selon une étude de l’UNESCO). Apprêtez-vous à une avalanche percutante de telles données. Sa préfacière, Myriam Leroy, résume l’ouvrage avec la formule pertinente d’un mélange entre une trousse de premiers soins et une réserve de munitions.

La violence patriarcale, c’est partout, tout le temps, un “continuum des violences”, selon le concept élaboré par la sociologue britannique Elisabeth Kelly. La violence sexiste et sexuelle est présente dans la vie de presque toutes les femmes, de la blague sexiste au féminicide, c’est-à-dire de l’acte tellement banal qu’il est socialement vu comme acceptable aux formes criminalisées. La cyberviolence est un type de violence parmi tant d’autres spécifiquement infligés aux femmes. Elle vient se greffer sur des expériences sociales déjà vécues pour les aggraver. Autrefois, le harcèlement scolaire s’arrêtait momentanément une fois la victime rentrée chez elle. Aujourd’hui, il n’y a plus de répit. Pareil avec le harcèlement sexuel, désormais imposé partout, tout le temps.

De la même manière qu’une insulte homophobe ou antisémite ne va pas blesser uniquement la personne contre laquelle elle est dirigée, le climat de violence à l’égard des femmes sur Internet a un effet très réel sur quasiment toutes les femmes. De façon plus directe, une récente étude a établi que 84 % des victimes de cyberviolence en France sont des femmes. Alors que 41% des Françaises déclarent avoir vécu personnellement ne serait-ce qu’une fois une situation de cyberviolence, le chiffre grimpe jusqu’à 87% dans la tranche des 18-24 ans. À cette haine des femmes viennent souvent se greffer racisme, grossophobie, homophobie, transphobie ou validisme (discrimination envers les personnes en situation de handicap).

Intimider, humilier et imposer le silence

En 2020, l’ONG Plan International a sorti un rapport effrayant sur l’expérience des filles sur Internet après avoir interrogé 14.000 filles âgées de 15 à 25 ans, originaires de 31 pays à travers plusieurs continents. 58 % ont indiqué avoir déjà subi une forme ou autre de cyberviolence et, parmi elles, 47 % ont été menacées de violences physiques ou sexuelles. Le portrait-robot qu’elles dressent du harceleur et celui d’une personne de sexe masculin “qui supporte difficilement que les filles et les jeunes femmes puissent s’exprimer et refuse de se conformer à sa vision très restreinte de la féminité.”

Florence Hainaut développe : « En 2023, on crée encore des décors d’émission télé sur mesure pour laisser apparaître les jambes de la présentatrice ou de la journaliste qui travaillera. Parce que c’est joli, des gambettes, non ? Ça attire le chaland. Des seins aussi, c’est joli, il y en a plein les publicités pour parfum. Et une bouche ouverte, c’est sexy, non ? C’est bien, pour vendre une glace. Que les pots de fleurs sexy se piquent désormais d’avoir des choses à dire sur la société, c’est insupportable pour une partie de la population masculine, habitué à ce que les femmes soient des accessoires dociles. » En bref : « il s’agit de les empêcher d’avancer, de faire en sorte que les rapports de force restent inchangés, que leur désir d’émancipation soit étouffé entre deux menaces.”

Ce n’est bien entendu pas sans impact. Selon une étude d’Amnesty international, 76 % de femmes interrogées et qui avait déclaré avoir été victime de harcèlement en ligne ont changé leur façon d’utiliser les plateformes, 32 % disent avoir arrêté de donner leur opinion sur certaines questions. Les recherches de l’Institut Européen pour l’Egalité entre les Genres révèle que 51 % des jeunes femmes hésitent à participer à des débats en ligne parce qu’elles ont été harcelées.

Le business de la haine

L’autrice souligne le rôle des réseaux sociaux commerciaux. Les contenus qui engagent le plus les internautes, donc ce sur lesquels nous passons du temps, que nous commentons, que nous partageons le plus frénétiquement, sont les contenus les plus clivants, ceux qui provoquent en nous de la colère. Et « l’intérêt des plateformes, c’est la rentabilité, pas votre santé mentale ». On sait grâce notamment à la lanceuse d’alerte Frances Haugen qu’Instagram sait très bien que sa plateforme nuit aux plus jeunes : une de ses études internes indique qu’un tiers des adolescentes et 14 % des garçons déclarent que lorsqu’ils et elles ne se sentent pas bien dans leur corps, Instagram aggrave la situation. La plateforme connaît l’impact négatif sur la santé mentale de la sursexualisation des jeunes filles. Mais elle s’en moque.

La journaliste française Mathilde Salidou, autrice du livre “Technoféminisme, comment le numérique aggrave les inégalités” explique : “Avant, ceux qui criait, sélectionnés et hiérarchiser l’information, c’étaient les médias traditionnels. Dans l’Internet 2.0, celui des réseaux sociaux, tout le monde fabrique de l’information et la diffuse sur ces plateformes. Et le travail de tri, de sélection et de hiérarchisation et désormais pris en charge par les plateformes via des algorithmes. Ce sont elles qui décident ce qui va être poussé comme contenu, ce qui va vous être proposé automatiquement. Leur logique s’inscrit dans un cadre capitaliste avant tout, notamment avant d’éventuelles réflexions sur la qualité des informations.”

Nous ne pouvons pas lire ce livre autrement que comme un vibrant appel à continuer le combat contre le système capitaliste et les discriminations sur lesquelles il repose, avec empathie et en redoublant d’attention sur les conséquences des agressions permanentes qu’il signifie dans notre entourage.

Nous remercions l’AFICo, une asbl namuroise d’Éducation Populaire, d’avoir organisé une présentation du livre avec la participation de l’autrice en octobre dernier dans les locaux de la CGSP-Namur, ce qui nous a permis de mieux prendre connaissance de cet important travail.

 


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