Réduction de l’écart salarial… mais ce n’est pas une bonne nouvelle !

Une statistique qui présente une augmentation du salaire moyens et une réduction de l’écart salarial homme/femme ne signifie pas que notre pouvoir d’achat et notre indépendance financière ait été amélioré…

« En Wallonie, les femmes gagnent plus que les hommes ». Voilà un titre tape à l’œil qu’on a pu lire dans toute la presse francophone. C’est le résultat d’une étude de Statbel réalisée auprès de 130.000 travailleurs et travailleuses. Les femmes gagnent 0,6% de plus que les hommes en Wallonie et elles ne gagnent en moyenne que 0,4% de moins au niveau national…

Sauf que…

Cette étude n’a retenu que les salarié.e.s à temps plein dans les entreprises de moins de 10 personnes et a exclu une série de secteurs: administration, enseignement, santé, soins aux personnes. Les PME et les non marchands étant plus importants en Flandre, l’amélioration des chiffres y est moindre. Cette étude a pour point de référence octobre 2020, un mois sans prime, alors qu’elles sont plus marquées dans les secteurs «masculins». Enfin et surtout, c’était un mois de semi-confinement lié au Covid. Hors, dans les secteurs à bas salaires (où les femmes sont majoritaires), le télétravail est le plus souvent impossible. Des travailleuses (et travailleurs) étaient au chômage temporaire ou leurs contrats n’ont pas été renouvelés et n’ont ainsi pas été comptabilisé.e.s.

Une statistique qui présente une augmentation du salaire moyens et une réduction de l’écart salarial homme/femme ne signifie pas que notre pouvoir d’achat et notre indépendance financière ai été amélioré… Dans le monde, la crise sanitaire a eu un effet immédiat sur l’emploi des femmes : 5% des emplois occupés par des femmes ont disparu en 2020 pour ne pas revenir, selon l’ONG Oxfam. Lorsqu’il n’y a plus de structure d’accueil et de soin accessible ou lorsque l’économie ralentit, les travailleuses sont systématiquement poussées à retourner dans les foyers. Avec les crises qui s’accumulent, la sécurité sociale définancée en Belgique ne suffira pas; on risque bien de rattraper la tendance mondiale.

Crise = perte d’emploi, en particulier pour les femmes

Aux États-Unis, durant la pandémie avec les fermetures des crèches, des écoles et de nombreux services de soins aux personnes, pratiquement tous les emplois perdus étaient des emplois occupés par des femmes. Impossible de travailler s’il n’y pas de structure pour accueillir les enfants. Ces structures employant majoritairement des femmes, c’est d’autant plus de travailleuses qui ont perdu leur emploi, en particulier des afro-américaines et des latinas.

En Belgique, on y a en grande partie échappé grâce à notre sécurité sociale. Mais sur le long terme, on risque malheureusement de rattraper cette hécatombe. Si l’on analyse chaque grande crise dans l’histoire, il y a systématiquement une contraction de l’emploi féminin.

Conjuguer vie professionnelle et familiale : un casse-tête…

Les femmes sont surreprésentées dans les secteurs des soins et les emplois à bas salaires. Elles sont largement majoritaires dans 7 des 10 emplois les moins rémunérés (chiffres de Statbel). Les aides ménagères et ménagés et les agents d’entretien – le groupe de population le plus important en Belgique avec 240.000 travailleuses et travailleurs – ont même vu leur salaire mensuel moyen baisser de 1 % entre 2010 et 2019. Avec l’explosion du coût de la vie d’une part et le manque de services publics d’autre part, le coût d’opportunité de travailler quand on a des enfants se réduit de plus en plus.

On ne sait plus payer les stages alors qu’on compte 15 semaines de vacances scolaires contre 3 pour les salarié.e.s, idem pour la garderie avec l’école qui finit au mieux à 15h30 ; on inscrit moins les enfants à la cantine dont le prix a considérablement augmenté ; l’explosion du budget alimentation nous pousse aussi à faire plusieurs magasins et à cuisiner davantage ; trop gourmand en énergie, on utilise moins le séchoir qui permettait de gagner du temps ; les maisons de repos sont toujours plus chères et avec les mauvaises conditions de vie mis au jour durant la pandémie, les aînés ne souhaitent pas souvent y aller ; 2/3 des tout-petits n’ont pas de place d’accueil et les scandales dans des crèches en Flandre illustrent le défaut de financement du secteur laissant les parents sans solution…

De nombreuses familles ayant recours aux titres services risquent de couper dans ce poste de dépense et s’en charger elles-mêmes (gratuitement). A Bruxelles, ce secteur emploie à 98 % des travailleurs et travailleuses originaires d’un pays hors UE et compte 75 % de femmes. C’est autant de familles déjà précaires qui risquent de tomber dans la misère. Et au sein des familles, rationnellement, c’est la personne qui gagne le moins qui réduira son temps de travail pour réaliser ce surcroît de travail domestique gratuitement, donc généralement les femmes.

Les « congés » parentaux permettent d’un petit peu mieux parvenir à conjuguer vie familiale et professionnelle, pour courir à gauche à droite entre le ménage, les rendez-vous médicaux, les courses, les tâches administratives et récupérer les enfants… Mais même ça, le gouvernement a durci les conditions d’accès et l’a raboté de 3 mois et même de 1 an pour les fonctionnaires. Un nivellement par le bas… Pourtant, ces tâches ne sont pas optionnelles. Bon nombre de parents devront réduire leur temps de travail et auront donc un salaire partiel et une pension très réduite. C’est une attaque frontale contre les familles! Si l’on souhaite quitter son partenaire (parce qu’on n’est pas épanoui avec ou en raison de violence domestique), cela signifie subir de plein fouet une violence économique terrible, encore plus lorsqu’on est à temps partiel. C’est inacceptable !

Avant la mise en œuvre de cette mesure, 42,1% des femmes qui travaillent sont déjà à temps pareil contre 11,6% des hommes. Dans la population ouvrière (où le salaire est le plus faible), 71% des ouvrières travaillent à temps partiel, contre seulement 15% des ouvriers (ONSS, données de l’année 2020). Seuls 8% d’entre-elles déclarent que c’est un choix. Les autres expliquent qu’il leur est impossible d’être à temps plein dû au manque de services publics, à la charge de travail ou elles n’ont pas trouvé de temps plein puisque dans de nombreux secteurs (distribution, horeca), les employeurs ne proposent que des temps partiels aux femmes.

…parfois insoluble !

Puis, il y a celles qui ne trouvent tout simplement pas de travail ou pour qui il est devenu impossible de conjuguer vie familiale et professionnelle. En moyenne, en Belgique, on compte 7,5% d’écart entre le taux d’emploi des hommes et des femmes. Et le taux d’emploi des mères célibataire n’est que de 71% contre 83% pour les mères en couple à Bruxelles. La situation est encore bien pire pour les femmes originaires de pays hors de l’UE : elles ont 2 fois plus de difficultés à trouver un emploi et travaillent généralement sous leurs qualifications, dans un secteur à très bas salaire. Pour celles à la tête de familles monoparentales, le taux d’emploi chute à 38% (chiffres d’Actiris).

Ces données se dégradent rapidement. Les associations qui viennent en aide aux parents isolés (qui sont à 80% des femmes) notent qu’il y a 5 fois plus de demandes d’aide alimentaire depuis la rentrée et que 7 familles monoparentales sur dix ont des difficultés à trouver un logement. Or, sans logement, impossible de recevoir une allocation et de chercher un emploi…

Il faut aussi remarquer que de moins en moins de travailleuses et travailleurs sans emplois sont indemnisés par l’ONEM. C’est encore la conséquence de la réforme des allocations de chômage dites «d’insertion» du gouvernement Di Rupo en 2012. Les femmes et les jeunes étaient et sont toujours les plus touché.e.s. Les premières ont plus de difficultés à ouvrir leur droit au chômage vu que le temps partiel est installé comme un système (difficile dès lors de travailler un an à temps plein en 18 mois). Pour les jeunes, les limitations d’âge ont considérablement réduit le nombre de jeunes indemnisés. Ainsi, une personne demandeuse d’emploi sur 3 ne perçoit pas d’allocation. Une partie émarge au CPAS, mais beaucoup n’ont rien. De plus, le statut de cohabitant réduit de moitié le montant de l’assurance chômage, 60% des femmes sont dans le cas.

Combattre la violence économique pour contrer la violence de genre

Alors oui, si les travailleuses au plus bas salaire n’ont plus la possibilité de travailler, l’écart salarial se réduira. Mais ça ira de pair avec une augmentation de la précarité et donc de la vulnérabilité aux autres formes de violence.

Dans le cadre du plan de relance européen, la secrétaire d’État à l’égalité des chances Sarah Schlitz (ECOLO) a mis sur pied un appel à projets « Bread & Roses » pour favoriser l’inclusion et le maintien durable des femmes en situation de vulnérabilité sur le marché du travail. Mais ce n’est pas tant comment travailler qui pose problème que la possibilité matérielle de tout combiner.

Ce slogan est usurpé. « Bread & Roses » fait référence aux grévistes de l’industrie textile de Lawrence (USA) en 1912. Elles réclamaient de meilleurs salaires et une réduction collective du temps de travail pour que, plus que de survivre, elles puissent également profiter de la vie. Pour nous permettre de vivre dignement, il nous faut être aussi ambitieuses et ambitieux que ces grévistes. Si on veut permettre aux femmes de travailler, exigeons un investissement public conséquent pour développer les services publics qui permettent de combiner vie privée et vie professionnelle, l’augmentation du salaire minimum à 15€/h et répartissons le travail disponible entre toutes et tous en instaurant la semaine de travail de 30h, sans perte de salaire, avec des embauches compensatoires pour que la charge de travail soit acceptable. Voilà qui serait un bon point de départ d’un projet de ce nom !

Alors seulement nous pourrons être indépendantes financièrement et ne pas glisser dans la précarité ; nous pourrons échapper à la violence économique qui accroît le risque d’autres formes de violence ; nous aurons l’opportunité de choisir librement avec qui nous souhaitons vivre ou non et il sera davantage possible de s’extraire d’une situation de violence domestique.


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