Frappée vulgairement de plein fouet par la crise et les politiques d’austérité, l’actualité en Grèce a été marquée par une vague de mobilisation sans précédent au cours des années 2010-2015.
Suite à la trahison du gouvernement de Syriza, la poursuite du processus d’appauvrissement des couches ouvrière et moyenne et la déception qui en a résulté, le mouvement féministe en Grèce s’est affaibli dans les années qui ont suivi. Pourtant, depuis 2018, des mouvements reprennent le flambeau, notamment celui des femmes et de personnes LGBTQIA+.
La manifestation du 23 novembre 2019, contre les violences faites aux femmes, à Athènes, avait rassemblé plus de 1000 personnes : cela peut sembler dérisoire, mais c’est le triple du chiffre de 2018. Ce 8 mars, des manifestations pour les droits des femmes ont été organisées dans les villes d’Athènes et de Thessalonique, pour la deuxième année consécutive. Un arrêt de travail, déjà organisé l’année précédente, n’a, en revanche, pas pu être instauré cette fois-ci, et ce en dépit d’une forte mobilisation.
Crise et austérité
La crise et la précarité ont contribué à la multiplication des cas des viols, des agressions sexuelles et des féminicides dans le pays.
La société grecque est aujourd’hui encore largement machiste et conservatrice, où et l’Eglise orthodoxe y occupe toujours une place prépondérante. En effet, le christianisme orthodoxe est la religion majoritaire/dominante, et cela se marque jusque dans la Constitution. Ainsi, les députés et le président prêtent un serment chrétien quand ils rentrent en fonction. L’Église a également son mot à dire en ce qui concerne le système d’éducation, notamment les programmes scolaires. Ainsi, La question de l’introduction d’un cours d’éducation sexuelle rencontre une opposition farouche. En outre, cette influence s’étend aussi aux partis politiques dominants et à leurs électorats. Les féministes doivent se battre rien que pour que le terme “féminicide” soit reconnu.
Quant à la situation le plus souvent précaire des femmes, elle s’est encore empirée à cause de la crise. En outre, l’apparition et le développement du parti néo-nazi “Aube dorée”, dont les positions sur les femmes riment avec celles de l’Église et du monde conservateur, a contribué à ce que la place des femmes au sein de la société, traditionnellement assignées à l’entretien du foyer et à l’éducation des enfants, réapparaissent et soient légitimées dans le débat public. Une femme qui a perdu son travail, qui travaille au noir, sans sécurité sociale et qui gagne 200€ par mois, c’est une femme qui éventuellement trouvera attrayante l’option de rester à la maison ; pour une telle femme, cette option pourrait bien être la seule qui soit possible. De plus, dans son cas, c’est un choix acceptable par la société, beaucoup plus que pour un homme qui serait critiqué s’il prenait un tel choix. Mais, imaginons, par exemple, quel est le destin de cette femme, si elle a un conjoint violent ?
Croissance du mouvement féministe
Récemment, plusieurs cas de violences contre les femmes et de féminicides ont été recensés ; sans oublier, ces deux jeunes mères qui ont tué leurs bébés pour commettre suicide par après, parce qu’elles n’avaient pas les moyens pour les élever. Dans l’un des cas, il s’agissait d’un enfant avec un handicap mental.
Il est évident que la précarisation des femmes est plus prononcée que celle des hommes, non seulement à cause du chômage et de la baisse salariale, mais aussi de la détérioration des services publics comme les écoles, les garderies ainsi que celle des structures de soutien aux personnes vulnérables, aux personnes âgées et à mobilité réduite.
La précarisation accrue, alliée à l’expérience acquise du mouvement, a certainement contribué à l’augmentation des actions féministes dans le pays, d’autant plus que les mouvements féministes, ne cessent de se développer un peu partout dans le monde. La chanson chilienne “Un violador en tu camino”, qui a été reproduite dans plusieurs villes du globe, dont à Athènes, et ce, à plusieurs reprises, en est un bon exemple.
Dans les secteurs professionnels occupés très largement par des femmes, comme celui du nettoyage, notamment au sein des écoles, des grèves réussites ont été organisées et ont abouti à des accords importants/ont donné lieu à quelques victoires. Au sein des organisations de gauche, des volets ou sections “femmes” se créent de plus en plus, preuve d’une prise de conscience et d’un intérêt grandissants.
La remise en question du droit à l’avortement et les réactions
En Grèce, l’avortement est légal, jusqu’à la 12e semaine, depuis 1986. Pourtant, certains cercles insistent à pour remettre ce droit en question. Le débat a été ravivé l’année passée, quand l’Eglise grecque a instauré, le premier dimanche après Noël, la “journée de l’enfant non-né”.
Au début de l’année 2020, une campagne a été lancée par des organisations proches de l’Eglise et soutenue par des membres du gouvernement ; le but aurait été d’« informer » l’opinion publique sur les conséquences démographiques de l’avortement, et d’ainsi amener à une réforme de la loi. L’Eglise défend sa position, à savoir que les droits du fœtus primeraient sur ceux de la femme. Ladite campagne consistait en affiches dans les lieux publics, en parution d’articles sur le sujet dans des journaux locaux et en débats à la télévision. Il est symptomatique que l’affiche de la campagne ait été reprise en une d’un journal sportif, adressé majoritairement à un public masculin, qui avait d’ailleurs aussi consacré son édito à la question! C’était bien joué. Néanmoins, cette campagne a reçu de vives critiques d’une large part de la population, tant sur son contenu (statistiques falsifiées, informations pseudo-scientifiques infondées, etc.) que sur son objectif. Des organisations de femmes, des partis politiques, des associations de jeunes et des individus, par le biais des réseaux sociaux, ont condamné et attaqué la campagne, jusqu’à ce que les affiches soient retirées.
Le 8 mars
Les manifestations à Athènes et à Thessalonique s’inscrivent dans ce cadre d’élargissement du mouvement féministe. Malgré une participation moins importante que l’année dernière, ces manifestations, ainsi que les diverses actions et débats organisés dans les autres villes du pays, montrent que le mouvement est toujours actif et que les initiatives politiques à destination des 25 novembre et 8 mars s’institutionnalisent. Il y a une prise de conscience du fait que les femmes sont discriminées, tant au niveau social qu’économique, que la culture du viol est omniprésente, et que c’est seulement avec des luttes que les femmes gagneront leurs droits élémentaires.
Les gens réalisent également que le mouvement féministe ne peut pas rester isolé ; c’est dans son propre intérêt, mais aussi dans une certaine logique, qu’il aille de pair avec les autres mouvements militants.
Cette année, le 8 mars, une manifestation fasciste et anti-choix (ou anti-avortement) était organisée à Thessalonique, en même temps que la manifestation féministe qui est parvenue à la contenir pendant une heure entière.
Le mouvement LGBTQIA+ mis en avant
L’assassinat de Zak/Zackie Oh, activiste homosexuel et séropositif, en septembre 2018 a relancé le mouvement LGBTQIA+. Une grosse vague de solidarité, a été développée suite aux faits. La Campagne Rosa a été présente aux actions organisées à Bruxelles.
Dans le contexte conservateur décrit plus haut, il va de soi que la communauté LGBTQIA+ a toujours été fortement réprimée en Grèce, tant sur les plans social et économique qu’au quotidien. Pour la plupart des personnes transgenres, la prostitution est le seul moyen de gagner leur vie.
L’article 5 de la Constitution prévoit la tolérance zéro envers les discriminations; cet article cite explicitement les discriminations de langue, d’origine et de religion. Lors du vote pour une réforme constitutionnelle au Parlement, au mois de décembre, un amendement, proposé par Syriza, pour y ajouter les discriminations de genre, a été rejeté à 178 voix sur 300.
Parallèlement à l’affaiblissement du mouvement ouvrier en Grèce depuis la crise, on constate le développement de mouvements périphériques, centrés, par exemple, davantage sur les problématiques liées aux femmes, à l’environnement ou encore à la communauté LGBTQUIA+. C’est primordial, puisque ceux-ci, par leur proximité, voire leur interconnexion, pourraient dès lors semer les germes d’un nouveau mouvement ouvrier plus global et inclusif.
Tract de notre organisation sœur en Grèce à l’occasion du 8 mars