Deux journées historiques de lutte pour les droits des femmes en Amérique Latine

Les 8 et 9 mars 2020 sont rentrés dans l’histoire de la lutte pour les droits des femmes en Amérique Latine. Nous allons nous intéresser à trois pays qui ont réussi à mobiliser de manière massive : le Mexique, l’Argentine et le Chili.

Les luttes féministes s’organisent de plus en plus, avec de larges coordinations liées à d’autres luttes contre le système capitaliste. Elles ont pris les meilleurs instruments du mouvement ouvrier et elles arrivent à faire trembler la bourgeoisie : manifestations, grèves, assemblées démocratiques. Nous pensons qu’un mouvement féministe ne peut être qu’international et les revendications pour l’émancipation des femmes doivent être prises à bras le corps par tout le mouvement ouvrier. Nous avons besoin de construire un rapport de force contre ce système qui utilise nos corps pour faire du profit, nous exploite, nous opprime et légitimise une violence meutrière.

Un Dia sin Nosotras – Mexique

Par Joséphine

Le lundi 9 mars, 65 millions de Mexicaines étaient appelées à faire grève : pas de travail, pas d’école, pas de tâches domestiques, pas d’achat… La mobilisation était importante : écoles et magasins fermés, rames de métro presque vides. Malgré tous les obstacles et les critiques, la grève générale a rempli ses objectifs et a permis de mettre la lutte féministe comme thème principale dans les discussions politiques. Le résultat a été une perte économique de 34 milliards de pesos selon la BBVA. Cette grève a permis de mettre en avant le pouvoir du mouvement ouvrier, de construire un rapport de force et de faire trembler la bourgeoisie !

La veille déjà, pour la Journée de Lutte pour les Droits des Femmes, 80.000 personnes étaient rassemblées et manifestaient dans le centre de Mexico City !

En quatre ans, le nombre de féminicides reconnus a augmenté de 136% pour passer la barre du millier en 2019. En réalité, 10 femmes sont assassinées tous les jours au Mexique. Rien que lors des journées des 8 et 9 mars, 21 femmes ont été assassinées ! De plus, 99% des enquêtes pour viol sont classées sans suite alors que 38,7 % des Mexicaines de plus de 15 ans ont été victimes de violences sexuelles, selon l’Institut National des Statistiques (INEGI).

Suite à cette augmentation démesurée, le mouvement de défense des droits des femmes se structure de plus en plus grâce à de jeunes collectifs utilisant les réseaux sociaux afin de toucher un maximum de personnes et d’organiser des opérations ponctuelles comme des tags militants en centre-ville ou l’occupation de facultés universitaires.

L’un de ces collectifs, Brujas del Mar, a appelé à faire grève le lundi 9 mars, afin de mettre en avant l’inaction des autorités contre le sexisme. Au contraire, les autorités et la bourgeoisie favorisent le sexisme au quotidien : austérité et coupes budgétaires, bas salaires et inégalité salariale, mauvaises conditions de travail, manque de logements sociaux, marchandisation du corps des femmes,…

Cette grève avait pour objectif d’avoir un réel impact sur le pays (les Mexicaines représentent 40% de la population active mais 54% de l’activité totale avec l’économie informelle), dans l’espoir que les autorités et les patrons valorisent le travail des femmes.

Face à cette grève, le président mexicain, AMLO a eu une position ambivalente : il a d’abord dit soutenir la lutte pour ensuite taxer une partie du mouvement de « conservatisme se cachant derrière le féminisme », qui cherche à le déstabiliser (accusant ainsi ces opposants politiques). Ce n’est pas la première fois que ses réactions sont qualifiées d’insensibles : il y a quelques semaines, à la suite de deux féminicides (Ingrid, 25 ans et Fatima, 7 ans), les femmes étaient descendues dans la rue et le président n’avait fait que mentionner les quelques débordements, plutôt que la réelle problématique de la violence envers les femmes. Evidemment, ceci fait partie de l’hypocrisie bourgeoise, le gouvernement a choisi le camp des 1% pour lequel les violences envers les femmes n’est qu’un maigre prix à payer pour augmenter leurs profits ! Pour tenter de sauver la face, six femmes ministres du gouvernement de AMLO ont affirmé soutenir la grève lors d’une conférence de presse. Mais nous n’avons aucune illusion !

>> Notre organisation-sœur au Mexique, Alternativa Socialista, rappelle que la lutte contre le patriarcat est la même que la lutte contre le système capitaliste. Il n’existe pas de capitalisme féministe, il faut changer tout le système !

Par Marina

C’est le pays où une femme est assassinée toutes les 22 heures ; le pays où presque 500.000 avortements sont pratiqués clandestinement chaque année où dans 10% des cas, il y a des complications graves et/ou les femmes meurent. C’est aussi le pays où le mouvement #NiUnaMenos est né, suite au viol et à l’assassinat de la jeune Lucia Perez (16 ans). Un grand mouvement féministe se développe graduellement depuis 15 ans, ce qui a permis la participation de plus de deux millions de personnes dans les rues en 2018.

Un des principaux mots d’ordre du mouvement est le suivant : « l’avortement légal pour ne pas mourir, une éducation sexuelle pour pouvoir décider, des moyens de contraception pour ne pas devoir avorter » .

Le président Fernandez a été élu il y a quelques mois, également grâce au soutien de ce mouvement, puisqu’il a promis de faire passer la loi qui rendrait l’avortement légal jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse. En 2018, un projet de loi avait été présenté aux corps législateurs, mais rejeté par le Sénat. Malgré le changement de gouvernement, le Sénat reste toujours hostile et un contre-mouvement (mal nommé !) Pro-vie se développe (« foulards bleus »). Le mouvement pour les droits des femmes craint que le projet de loi de Fernandez ne soit pas suffisant : pas de possibilité d’avorter dans des hôpitaux publics, pas de couverture par la sécurité sociale, pleins pouvoirs moraux pour les médecins. Le mouvement a donc répondu : des manifestations des « foulards verts » très massives ont été organisées dans plus de cent villes en Argentine le 19 février.

Organisées et soutenues par plusieurs organisations politiques, des assemblées de quartiers, des syndicats de travailleurs/travailleuses et d’étudiants/étudiantes, les manifestations ont été massives ce 8 mars 2020. De plus, une grève féministe a paralysé le pays le 9 mars, avec, au même moment des dizaines de milliers de personnes qui ont inondé les rues d’argentines, pour protester contre les violences faites aux femmes et pour le droit de choisir concernant l’avortement.

Nous devons être clair, le droit à l’avortement est et sera systématiquement remis en cause par les gouvernements de droite conservatrice !

>> La Campagne ROSA se bat pour un véritable programme pro-choix, qui défend la possibilité de réellement prendre une décision en toute liberté, c’est-à-dire le droit de décider librement de procéder à un avortement, mais aussi celui de ne pas être poussée à avorter uniquement par nécessité financière !

Historicas ! – Chili

Par Virginie

A Santiago, la capitale du Chili, comme dans les autres régions du pays, la mobilisation de la journée du 8 mars a été historique. Plus de deux millions de personnes, selon les organisatrices, se sont réunies dans les rues de la capitale. Dans un climat de répression dure des rassemblements par les autorités, la police a tenté de minimiser le mouvement en déclarant une participation de 125 000 personnes. Le cortège de manifestant.e.s qui a recouvert plus de 4 km de la « Alameda », grande avenue principale de Santiago du Chili, s’est interrompu à plusieurs reprises pour réaliser la performance chorégraphiée « un violador en tu camino ». Cette performance a été créée par le collectif « Las Tesis », composé de trois féministes chiliennes et qui a été reproduite de partout dans le monde et traduite en de nombreuses langues. Elle est devenue le symbole de la lutte féministe contre tout un système qui exploite et opprime les femmes.

Un immense convoi de femmes et d’hommes arborant la couleur mauve de la lutte pour les droits des femmes, le foulard vert du droit à l’avortement et des drapeaux de la communauté Mapuche (peuple indigène du Chili) ont relié la ville côtière de Viña del Mar au port de Valparaíso voisin. Cette journée revêt une importance particulière au Chili, car c’est autour des femmes et de la défense de leurs droits que le pays se remobilise après les deux mois d’été chilien. En outre, cette marche reliant Valparaíso et Viña del Mar a une valeur symbolique puisqu’elle réunit deux villes très différentes sur les plans socio-économique et politique. En effet, le port de Valparaíso reste un lieu touristique suscitant beaucoup d’intérêt, une porte ouverte sur le commerce mondial, mais c’est également une ville à la population paupérisée et qui a l’habitude d’organiser la lutte à travers des grèves et des manifestations. Par contraste, le centre de la ville de Viña del Mar arbore des airs de réussite et de fleurissement économique, mais avec une précarité des quartiers reculés, où la réalité est tout autre que dans les restaurants qui bordent la « costanera » ou les hautes tours à appartements avec vue sur mer.

Les femmes et les jeunes sont au premier plan des soulèvements que le Chili vit depuis le mois d’octobre contre le président et contre la constitution néo-libérale. Ce sont elles et eux qui ont commencé les révoltes en dénonçant l’augmentation du prix du ticket de métro et c’est grâce à eux et elles qui s’organisent depuis des années contre le prix des études et contre le harcèlement sexuel dans les universités et les écoles secondaires, que le mouvement a pu se développer et convaincre toute la population de rentrer dans la lutte.

Le mouvement féministe latino-américain est un mouvement des travailleurs, des étudiants et des peuples indigènes, il devient de plus en plus massif, coordonné et organisé. Continuons la construction d’un mouvement de masse qui puisse arracher des victoires et construire avec toute la classe ouvrière, une société socialiste féministe sans classes et sans inégalités !


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ROSA organise des actions, des événements et des campagnes pour combattre le sexisme et le système qui l’entretient : le capitalisme.