Il y a 100 ans, le 14 Juin 1921, le mouvement ouvrier organisé obtenait l’inscription dans la loi belge de la journée des huit heures. Il a fallu attendre 1970 pour arracher la limitation de la semaine de travail à 40 heures. La revendication de la réduction du temps de travail fut de tout temps chevillée au mouvement des travailleurs.
Par Clément (PSL Liège)
Une tradition bien ancrée
Aux débuts du capitalisme industriel en Belgique, les ouvriers étaient totalement à la merci de leur patron : la loi Le Chapelier empêchait toute coalition ouvrière ou encore action de grève, et si celle-ci fut révisée en 1866, il restait toujours de sérieuses entraves à l’exercice du droit de grève, qui n’avait de droit que le nom.
La journée moyenne de travail était alors de plus de 12 heures de travail effectif.
A cette époque, la limitation de la durée journalière de travail était déjà un enjeu majeur : l’Association Internationale des Travailleurs mena des campagnes d’agitation et d’action sur la durée du travail dès sa création en 1864.
En 1889, c’est le POB (Parti Ouvrier Belge, ancêtre du PS et du Vooruit, nouveau nom du SP.a) qui se fait le porte-voix des travailleuses et travailleurs et réclame la journée des ‘‘3-8’’ (8 heures de travail, 8 heures de loisirs, 8 heures de repos) tout en mettant au point un argumentaire dont le but est de défendre au mieux la revendication et de convaincre les collègues sceptiques qui craignent des baisses de salaire.
À l’aube du XXe siècle, de premières victoires partielles sont acquises au niveau local dans des industries spécialisées : chez les typographes bruxellois en 1900, chez les diamantaires anversois en 1904 et chez les cotonniers gantois en 1905.
Suite à ces victoires, les actions – tout en restant limitées tant par leur nombre que par leur ampleur – se multiplient et s’étendent à de nouveaux secteurs. En 1909 intervient la première limitation du temps de travail au niveau sectoriel : la journée de travail des mineurs sera ramenée à 9h.
Le tournant de la grande guerre
On entend parfois dire que l’inscription dans la loi de la journée de travail de huit heures est, à l’instar du suffrage universel, une sorte de ‘‘cadeau’’ octroyé par la bourgeoisie pour les efforts consentis par les travailleuses et travailleurs durant la guerre. Rien ne saurait être plus faux.
Au sortir de la première guerre mondiale, un élan de contestation se développe chez les travailleuses et travailleurs, qui ont payé le prix fort durant la grande guerre. En Russie, la révolution d’Octobre 1917 a mis à bas la vieille dictature tsariste pour instaurer le premier état ouvrier.
Cet évènement fondamental eut un effet galvanisant sur les luttes des travailleuses et travailleurs à travers le monde. Une poussée révolutionnaire traverse alors l’Europe provoquant grèves et soulèvements. La classe dominante tremble.
Les premières grèves
En Belgique, le nombre de syndiqués augmente de manière fulgurante et passe de 252.177 en 1914 à 844.241 en 1920. De janvier à juin 1919, les grèves revendiquant les 8 heures se succèdent à un rythme effréné à travers toute la Belgique ; elles durent plusieurs jours voire semaines, et finissent bien souvent par des victoires.
C’est d’ailleurs à cette époque que l’on assiste à l’une des premières grèves des transports en communs : en janvier, 5000 travailleurs des tramways bruxellois entrent en grève à plusieurs reprises et interrompent totalement le trafic des trams en région bruxelloise, ce qui frappera fortement l’opinion publique.
Le résultat de ces actions est sans appel : une enquête menée dans le cadre de la Conférence Internationale du Travail de 1919 démontre que dans la grande majorité des secteurs économiques, les huit heures ont été totalement ou partiellement introduites suite aux actions des travailleuses et travailleurs.
Généralisation des 8 heures
Concrètement, la loi de 1921 n’instaurait pas les huit heures : elle consacrait et généralisait une victoire que les travailleuses et travailleurs avaient arrachée au patronat par une lutte farouche dans laquelle il fut bien peu question de concertation ou d’accommodation.
Au même moment où les 3-8 étaient conquises, l’industrie connaissait une augmentation de sa productivité suite à des gains technologiques, mais surtout grâce aux procédés de rationalisation du travail (généralisation du taylorisme, etc.) qui furent un moyen pour la classe capitaliste de récupérer le manque à gagner consécutif à la diminution du temps de travail.
Cette augmentation de la productivité se traduisit par une augmentation parallèle du chômage, lequel fut dramatiquement aggravé par les effets de la crise de 1929. Pour le résorber et diminuer la concurrence entre ouvriers/ouvrière, la revendication d’une limitation de la durée hebdomadaire du temps de travail fut mise en avant et défendue, notamment durant les grèves de 1936 qui entraînèrent la conquête de multiples droits sociaux.
Face aux innovations du gouvernement, quelle réduction du temps de travail doit-on défendre ?
Aujourd’hui, la Belgique connaît de nouveau une période de réduction du temps de travail. La différence avec le début du 20e siècle est que cette réduction n’est pas choisie, mais bien subie. En 2019, le taux de chômage des moins de 25 ans est de 14,2% et le taux d’emplois dans la population active de 70,5%1.
Même pour ceux qui ont la chance d’avoir un travail, les temps partiels et autres flexi-job se généralisent: en 2020, 26,8% des travailleurs et travailleuses sont à temps partiel (42,5 % des femmes salariées et 11,8 % des hommes salariés)2 . Jan Denys, spécialiste des ressources humaines chez Randstad ne s’y trompe pas lorsqu’il déclare ‘‘le travail à quatre cinquièmes devient en quelque sorte le nouveau temps plein.’’
Mais qui dit temps partiel dit salaire partiel…
Pour répondre au chômage, il est vital que le mouvement des travailleurs remette en avant son alternative de classe : la réduction collective du temps de travail. Les gains productifs doivent être utilisés pour alléger le poids qui pèse sur les épaules des travailleuses et travailleurs en répartissant le travail disponible, et pour que celui-ci devienne enfin un droit.
Parce que nous ne pouvons tolérer – comme c’est le cas aujourd’hui – qu’une diminution du temps de travail mette en péril la capacité des travailleuses et travailleurs à répondre à leurs besoins, nous défendons l’échelle mobile des salaires avec un revenu minimum garanti.
Construire le rapport de force
Il est certain que le patronat se battra bec et ongle pour empêcher que de telles mesures n’aboutissent. Au début du XXe siècle, seule la création d’un rapport de force conséquent, la ténacité des organisation des travailleuses et travailleurs et leur intransigeance sur leurs revendication ont permis d’imposer des changements fondamentaux.
Même après la victoire des huit heures, la bourgeoisie tenta de récupérer ses gains en augmentant les cadences et en accentuant la pression sur les travailleuses et travailleurs.
Revendications
Pour empêcher une telle situation, et comme nous ne pouvons contrôler que ce que nous ne possédons pas, nous défendons également la revendication du contrôle des secteurs clefs de l’économie par les travailleuses et travailleurs.
La revendication de l’échelle mobile des heures de travail et des salaires ainsi que la nationalisation sous contrôle ouvrier des secteurs clés de l’économie sont les premiers pas à poser vers une société où l’économie serait au service des besoins de l’immense majorité de la population, où le travail serait synonyme d’émancipation plutôt que d’exploitation et où les travailleuses et travailleurs seraient maitres de leur destin en tant que classe plutôt qu’oppressés et aliénés par les desideratas d’une infime minorité de la population.
Tel est ce que nous entendons par socialisme démocratique.
Notes
1. indicators.be – Taux d’emploi
2. Le travail à temps partiel | Statbel (fgov.be)