La détresse des personnes en situation de prostitution a été particulièrement criante durant les confinements. La fermeture des « vitrines » en a poussé beaucoup dans la rue. Or, si la prostitution est autorisée en Belgique, ce qui l’entoure reste illégal, comme le racolage et la publicité. D’autres ont bien envisagé de s’inscrire au CPAS, mais ces derniers manquent de moyens pour apporter l’aide adéquate et nécessaire. C’est dans ce contexte que le deuxième volet du projet de réforme du code pénal a vu le jour, en prévoyant une totale légalisation de la prostitution.
Le ministre Van Quickenborne explique que le proxénétisme restera illégal, sauf qu’il en change la définition. Ainsi, si ce projet passe, il sera parfaitement légal d’être l’employeur de prostitué.e.s et de tirer profit de ce qui sera considéré comme un travail comme un autre, pour autant que ce profit ne soit pas « anormal ». Sauf que ce qui est « anormal » n’est pas défini… Et puis, il n’est jamais normal de tirer profit du corps d’autrui!! Cette réforme correspond parfaitement à la ligne de défense de Dodo la Saumure – le plus célèbre proxénète belge avec une douzaine d’établissements – lors d’un procès contre lui pour proxénétisme, incitation à la débauche et traite humaine. Avec cette réforme, il passera de criminel à entrepreneur.
Pour les prostituées emprisonnées dans le trafic d’être humain – 60% d’entre elles – la situation va, au contraire, grandement se détériorer. En effet, les trafiquants tombent généralement grâce à la loi contre le proxénétisme, car il est plus facile de prouver l’exploitation sexuelle. Avec la réforme, il faudra prouver le profit « anormal » réalisé par l’exploitation sexuelle. Les associations de terrain craignent de ne plus pouvoir instruire de dossiers. Il ne sera plus possible, non plus, de fermer un établissement pour faciliter une enquête pour traite humaine, afin de garantir la liberté de commerce.
La légalisation au Pays-Bas et en Allemagne a aussi démontré que cela ne diminue ni les violences et la stigmatisation, ni la criminalité. Au contraire, cela crée un appel d’air pour les organisations criminelles et la demande augmente. Les victimes de traite sont alors plus nombreuses et même si, par chance, elles arrivent à échapper à leur geôlier, elles ne pourront pas bénéficier de programme d’aide puisqu’elles ne sont pas reconnues.
Vouloir intégrer la prostitution au marché économique formel par sa légalisation permet de faciliter la prise de profit. Le spécialiste de la question Renaud Maes (ULB) souligne que c’est la porte ouverte pour les grosses boites telles que Sugar Dating. Pour faciliter la prise de profit, la publicité – illégale jusqu’alors – sera admise. Pour les mineurs d’âge, elle sera condamnable, mais seulement si on peut prouver que l’offre de sexe tarifé avec mineurs est proposée « sciemment et volontairement ».
De même, alors qu’avoir des relations sexuelles tarifées avec des mineurs d’âge ou en tirer profit est actuellement strictement interdit, le projet de loi introduit une modification importante. Désormais, dès 16 ans, ça sera au mineur (ou au ministère public) de prouver que le client et/ou le proxénète connaissait son âge et était désireux de commettre l’infraction. Pratiquement impossible…
Lorsqu’on sait qu’une large majorité des personnes en situation de prostitution commencent avant l’âge de 14 ans, faciliter la prostitution des ados est scandaleux. A 14 ans, tout le monde s’accorde qu’aucun consentement n’est possible. Mais peut-on vraiment choisir quoi que ce soit plus tard, pris dans l’engrenage, dans un contexte de pénurie des aides sociales, alors que la police estime que 85 % des prostitué.e.s sont contraintes à cette activité et que presque tous.tes développent des addictions pour tenir le coup ? On est dans une totale hypocrisie de ce qu’est réellement la prostitution.
Le projet de réforme assimile aussi la prostitution à une mission de service public… Oui vous avez bien lu! On laisse supposé que les Eros center exploités par les communes seront considérés comme tel, à l’image la Villa Tino à Anvers, maison close communale avec 260 prostituées et à l’extérieur de laquelle la prostitution est réprimée. Le projet similaire à Seraing, qui avait été abandonné faute de base juridique solide, pourrait revoir le jour. C’est lucratif ! La Villa Tino rapporte 200.000€ par mois à la commune. Mais les “vitrines” aussi : en 2016, le Conseil d’État a autorisé l’instauration d’une taxe communale sur les établissements de prostitution, en contradiction avec le Code pénal actuel. Si la réforme passe, les communes pourront donc plus facilement remplir leurs caisses en encourageant la marchandisation des femmes.
Comment un projet de réforme qui veut introduire la notion de consentement peut en avoir une vision si floue ? L’argent ne se substitue jamais à un réel consentement. La normalisation de la prostitution participe à l’objectivisation de l’ensemble des femmes dans la société; nous devons poursuivre la lutte pour ne pas être traitées comme tel. Parallèlement, il est nécessaire de lutter contre l’exploitation, les discriminations et la répression que subissent les personnes en situation de prostitution. Enfin, il est crucial de combattre les politiques impérialistes qui facilitent la traite humaine et lutter pour des allocations décentes, de bons emplois avec de bons salaires et un refinancement du secteur social, pour que plus personne ne se retrouve sans autre possibilité que de se prostituer.