« Pas une de plus », « plus jamais ça » : des foules en colère de plus en plus nombreuses crient ces slogans à travers le monde. 2022 n’avait commencé que depuis 12 jours qu’un mouvement de masse a déferlé sur l’Irlande suite à un nouveau féminicide. Ashling Murphy, une jeune enseignante de 23 ans, a été assassinée alors qu’elle faisait son jogging. Des dizaines de milliers de personnes se sont réunies pour des veillées et des actions dans chaque ville et village d’Irlande, au Nord comme au Sud. Nos camarades de la Campagne ROSA-Irlande jouent un rôle de premier plan dans la coordination de ces initiatives.
On a raison d’être en colère, on a raison de vouloir agir. En réagissant dans son entourage et dans la rue. En affichant des slogans féministes sur les murs. En diffusant sur les réseaux sociaux des faits, des témoignages, des analyses. Les consciences changent. Le terme « féminicide » a fait son entrée dans les médias de masse. La loi du silence se fissure. Le producteur flamand Bart de Pauw a été condamné pour harcèlement envers ses employées. Jeff Hoeyberghs également, pour ses propos sexistes. La popularité du hashtag #BalanceTonBar, bien au-delà de la Belgique, a illustré sur les réseaux sociaux le potentiel d’un mouvement dans la rue. Il avait d’ailleurs été lancé parallèlement à plusieurs manifestations et actions faisant suite au scandale des agressions sexuelles impunies dans des bars étudiants à Ixelles, fin de l’année dernière.
La nécessité de mener ces actions est encore apparue clairement fin du mois de janvier lorsque le procureur général de Gand a décidé de classer une plainte pour viol dans un bar étudiant, faute de preuves.
Pas de capitalisme sans sexisme
Chaque comportement sexiste doit être combattu, où qu’il prenne place, mais cela ne suffira pas à changer fondamentalement la position des femmes dans cette société. Plus personne ne doit voir sa santé physique ou mentale brisée par le fléau des violences de genre. Nous devons en finir avec ce système capitaliste qui alimente la marchandisation des corps ; a intérêt à diviser la majorité sociale sur base du sexisme, du racisme ou de la LGBTQIA+-phobie ; entretient des normes de beauté malsaine pour réaliser plus de profits ; etc. Il ne peut exister de capitalisme sans sexisme. Il ne peut pas non plus exister de capitalisme – un système où une élite économique impose ses diktats à la majorité – sans violence. Et dans un désert social, la lutte pour accéder aux oasis trop peu nombreuses exacerbe toutes les tensions, jusqu’à la violence.
Des cas individuels de violence de genre peuvent déclencher des mouvements qui peuvent être massifs, comme en Irlande. De plus en plus, les slogans et revendications ciblent d’ailleurs la société qui engendre ces violences – « c’est tout le système qui est coupable » – même si la compréhension de ce qu’est exactement ce système, afin de mieux en identifier les failles, fait défaut.
La conscience du caractère sociétal de ce problème aux terribles conséquences personnelles dispose d’une plus large assise. Tout le défi aujourd’hui est de voir comment lier les explosions de colères les unes avec les autres et assurer qu’elles ne soient justement plus seulement des explosions, mais une dynamique soutenue et allant crescendo vers une transformation de toute la société. Cette ambition exige de dépasser le cadre des groupes affinitaires et de réfléchir très consciemment aux pas à poser en avant vers la construction d’une organisation et d’une lutte de masse.
Pas de socialisme sans émancipation des femmes, pas d’émancipation des femmes sans socialisme
Le mouvement de masse dont nous avons besoin doit se construire démocratiquement avec l’implication massive de tou.te.s les opprimé.e.s et exploité.e.s pour participer non seulement aux actions, mais aussi aux discussions concernant ce pour quoi le mouvement se bat, comment il doit se battre, etc.
La construction d’un mouvement capable de lutter contre les oppressions – telles que le sexisme – et l’exploitation doit accorder une attention particulière aux multiples oppressions subies, par exemple, par les femmes travailleuses qui sont également noires et/ou homosexuelles et/ou trans. Nous devons nous battre pour un mouvement qui soit représentatif de tou.te.s, qui défende les droits de chaque groupe opprimé et auquel chacun.e puisse participer. Mais nous devons accorder plus d’attention à ce qui nous unit et nous rassemble plutôt qu’à ce qui nous différencie.
Les richesses ne manquent pas dans cette société. Et celles et ceux qui les produisent, ce ne sont ni les actionnaires, ni managers de haut vol, ni les banquiers. C’est la classe sociale des travailleur.euse.s. Elle produit tout, elle est capable de tout bloquer en cessant le travail, elle est même capable de reprendre le travail ensuite en se débarrassant des parasites au sommet des entreprises. Si les grandes entreprises et les banques étaient ainsi collectivisées, nous serions en mesure de planifier démocratiquement comment répondre aux besoins de l’ensemble de la population. De cette manière s’effondrerait la base sur laquelle reposent toutes les discriminations : les pénuries.
Nous pourrions augmenter massivement les salaires et diminuer les heures de travail afin que chacun.e dispose d’un niveau de vie décent. L’émancipation économique des femmes permettrait qu’avoir des enfants ne signifie plus s’appauvrir. Nous aurions alors réellement toute la liberté de quitter une relation violente ou simplement malheureuse. Le financement intégral des services publics permettrait l’accès aux soins de santé dont les femmes ont besoin, y compris la contraception gratuite et l’avortement, ainsi que d’autres services qui pourraient prendre en charge une bonne partie du travail domestique non payé qui pèse largement sur les femmes.
En changeant le système économique – où tout ne serait plus orienté vers les profits pour une infime minorité de capitaliste – nous pourrions changer fondamentalement les attitudes envers les femmes, dont le corps ne serait plus utilisé comme un outil marketing ou sexuel. Ambitieux ?! Oui. Sans aucun doute. Mais a-t-on un autre choix si l’on veut véritablement parvenir à mettre un terme au fléau de l’oppression des femmes ?!
Construisons des comités d’actions contre le sexisme
Avec un tel projet, nous devons être beaucoup plus nombreux.euses à rentrer en lutte et prendre l’organisation de celle-ci sur nos épaules. Nous disposons déjà de comités ROSA dans une série de villes. N’hésitez pas à les rejoindre et à les renforcer ! N’hésitez pas non plus à créer d’autres comités d’action contre le sexisme dans votre ville, votre quartier, votre école ou votre lieu de travail et à prendre contact avec nous vous y aider !
Organisons-nous pour que le 8 mars soit une journée de lutte, plutôt que de paroles creuses. Utilisons cette journée pour construire un mouvement capable d’arracher de vraies victoires !