CW — violence domestique et violence sexuelle
De #MeToo à Ni Una Menos, en passant par la vague de chagrin et de colère suscitée par les fémicides de Sarah Everard, Sabine Nessa et Ashling Murphy en Irlande, le désir de mettre fin à la violence basée sur le genre (Gender Based Violence en anglais, ndT) a été une caractéristique très importante des luttes féministes de ces dernières années.
On retrouve aussi des mouvements collectifs de solidarité, y compris les travailleurs.x.ses de tous genres qui ont fait grève contre cette même violence.
Une discussion sur la façon dont la violence sexiste et sexuelle est systémique et enracinée dans le système capitaliste est aussi une autre caractéristique.
Une des composantes de la construction d’un mouvement contre la violence sexiste et sexuelle consiste à examiner d’un œil critique les nombreuses façons dont le système se retourne contre les survivant.e.s, et la fréquence à laquelle les clichés misogynes ou racistes sont perpétués par les médias, les politicien.ne.s et les tribunaux d’une manière qui non seulement porte préjudice à chaque survivant.e, mais perpétue une culture dans laquelle la violence sexiste et sexuelle peut prospérer.
Dans cette optique, prenez le temps de lire ce post sur le procès Johnny Depp/Amber Heard, écrit par Steph, une organisatrice du mouvement féministe socialiste ROSA Irlande, basée à Limerick.
« En regardant le procès Heard/Depp se dérouler au tribunal, et les réactions en ligne, je m’inquiète de son impact sur toutes les victimes de violence conjugale, quel que soit leur genre. Il s’agit d’un procès sur la violence domestique, et il est utilisé comme un divertissement, pour faire des blagues, des memes et des vidéos (pas) drôles.
Que vous croyiez Heard ou Depp, que vous croyiez que l’une ou l’autre est victime d’abus : ce n’est pas une raison pour en rire.
Cette affaire a également mis en lumière le fait que beaucoup de personnes qui prétendent se soucier des victimes masculines d’abus ne le font pas réellement, car elles utilisent cette affaire pour tenter de « prouver » que le féminisme est « toxique », et de discréditer les femmes victimes d’abus, plutôt que de montrer leur soutien aux victimes masculines, de partager des ressources sur la façon de repérer les signes d’abus, d’encourager les gens à faire des dons aux refuges ou même de partager les lignes d’assistance téléphonique pour les victimes de violence.
La façon dont Internet a été utilisé comme une arme contre Amber Heard par un multimillionnaire et son équipe est une énorme menace pour les victimes/survivants d’abus, partout dans le monde. Et cela montre à quel point la misogynie est profondément ancrée dans la société et la culture capitalistes – on se soucie davantage des anomalies, des cas extrêmement rares où une femme ment, que de la nature systémique de la violence sexiste, qui touche une femme sur trois et tue des femmes tous les jours.
Comparez le traitement réservé à Amber Heard à la majorité des célébrités masculines accusées ou dont la culpabilité a été prouvée, qui travaillent toujours à Hollywood et gagnent encore des récompenses.
Disposant de millions de dollars, l’équipe Depp utilise les médias sociaux pour diffuser des mensonges et inonder les fils d’actualité de hashtags anti-Amber. Il s’est avéré que les milliers de comptes qui agissent de la sorte ne sont pas simplement des fans mécontents, mais une opération internet ciblée et une campagne de diffamation contre Heard.
En 2020, un tribunal a jugé que Heard était victime d’abus domestiques, estimant que 12 des 14 allégations qu’elle a présentées étaient « prouvées à un niveau de responsabilité civile. » Heard a alors déclaré dans un article, sans nommer l’auteur, qu’elle était victime de violences domestiques, ce qu’elle a le droit de faire, surtout après l’avoir prouvé au tribunal. Johnny Depp lui réclame maintenant 50 millions de dollars pour cet article.
Les agresseurs ont souvent tendance à paraître charmants par nature. Les victimes/survivantes d’abus doivent faire beaucoup plus d’efforts pour être crues, surtout si elles sont considérées comme « antipathiques » (ce qui est un des reproches fait à Amber Heard).
Les gens disent que Heard n’agit pas comme une « vraie victime », mais personne n’examine le comportement de Depp de la même manière. Peu importe qui vous choisissez de croire, vous ne pouvez pas nier ce double standard.
Depp a blagué, souri, fait des dessins, mangé des bonbons au tribunal, et fait des high five à son équipe légale. Tout cela pendant qu’il est au tribunal pour essayer de prouver qu’il n’a pas abusé de Heard. Elle, est diabolisée pour ne pas avoir pleuré, puis diabolisée pour avoir pleuré. Double standard.
Des rumeurs circulent sur Internet au sujet d’Heard, qui se sont avérées être des mensonges. Des rumeurs sur sa trousse de maquillage, sur le fait qu’elle reprenne des répliques de films, sur son histoire de violence avec son ex-femme et sur le fait qu’elle se serait droguée à la barre devant tout le monde. Des rumeurs ridicules, facilement réfutables/réfutées.
L’histoire d’Heard abusant de son ex-femme s’est répandue sur Internet, et elle a été contrebalancée par le soi-disant fait que toutes les ex de Depp disaient qu’il était adorable.
La vérité est que l’ex-femme d’Amber Heard a déclaré qu’il n’y avait pas d’abus, qu’elle l’a soutenue pendant le procès et qu’elle a déclaré : « Il est décourageant que l’intégrité et l’histoire d’Amber soient à nouveau remises en question. Amber est une femme brillante, honnête et belle, et j’ai le plus grand respect pour elle. Nous avons partagé 5 années merveilleuses ensemble et restons proches à ce jour. »
En fait, quelques ex de Depp ont dit qu’il était violent. Son ex-petite amie Ellen Barkin a déclaré que lorsqu’elle sortait avec lui, il était contrôlant, jaloux, colérique et exigeant.
Lorsqu’on lui a demandé si elle avait été choquée lorsque Johnny Depp lui a jeté une bouteille de vin, elle a répondu : « Je n’ai pas été choquée. Il y a toujours un air de violence autour de lui ».
Une autre ex de Depp, Jennifer Grey, a déclaré qu’il était paranoïaque à propos de ce qu’elle faisait pendant son absence et qu’il se bagarrait régulièrement. Lorsque Depp sortait avec Kate Moss, il a saccagé une chambre d’hôtel devant elle.
Endommager des biens est une forme de violence, et saccager une chambre dans laquelle se trouve votre partenaire est un comportement abusif. Il a également agi de la sorte lorsqu’il était marié à Heard, en cassant la salle de bains parce qu’une autre femme l’avait touchée, en écrivant « Easy Amber » sur leur miroir et en étant jaloux de ses co-stars. Il a même tenté de brûler l’une des peintures de son ex-partenaire dans une crise de jalousie. Depp appelle sa colère « le monstre » qui est en lui. La plupart des abus sont liés à un besoin de pouvoir et de contrôle. La violence n’est pas seulement physique. La violence domestique est un ensemble de comportements de contrôle intentionnel. L’un d’entre eux a un comportement documenté de ce type, sur des décennies, et c’est Johnny Depp. Mais nous entendons plus parler des rumeurs autour de Heard que des faits concernant Depp.
Trop souvent, les hommes élevés par des abuseurs sont romantisés, dépeints comme brisés et ayant besoin d’amour et de soins, tandis que les femmes qui ont des « problèmes de père » sont des « marchandises endommagées » et « folles ». Ainsi, la colère et la toxicomanie de l’homme sont « compréhensibles » et utilisées pour le défendre.
Alors que le PTSD ou les « troubles mentaux » des femmes sont souvent utilisés pour les attaquer et les discréditer.
Ce qui nous amène à l’une des armes les plus insidieuses et les plus dégoûtantes qui a toujours été utilisée historiquement pour discréditer les femmes survivantes d’abus : les diagnostics psychiatriques. Depp et le « monstre qui est en lui » n’ont pas été diagnostiqués, mais Heard a été diagnostiquée avec de multiples troubles par un médecin que Depp a invité à boire et à manger, et qui est payé par Depp. Historiquement, la psychiatrie a été utilisée pour convaincre le tribunal, et le monde, que les femmes maltraitées sont folles. Elle a été utilisée pour les étiqueter, les discréditer et leur faire honte. Ce ne sont pas des diagnostics objectifs, ils sont politiques, tactiques et délibérés.
Depp est dépeint comme sympathique bien qu’il ait dit qu’il voulait brûler et noyer Heard, et violenter sexuellement son cadavre. On a pu voir des SMS dans lesquels il traite les femmes, et pas seulement Heard, de « b*tch », « fat wh*re », « filthy wh*re », « c*um guzzler », « ugly c*nt », ainsi que des textes homophobes et transphobes sur les amis de Heard, et il a souvent utilisé l’insulte « N ».
Il a également déclaré qu’il avait l’intention d' »humilier » Heard et que : « Elle va se prendre un mur. J’espère seulement que le karma s’en mêlera et lui enlèvera le don du souffle ». Imaginez seulement si c’est Heard qui avait dit ça. Double standard…
Depp est également le meilleur ami de Marilyn Manson, qui est accusé par plusieurs femmes d’agression, et dans une conférence de presse Depp a défendu l’agresseur sexuel d’enfants, Roman Polanski.
Depp sourit également pendant que Heard parle de certaines des pires choses qu’une personne puisse vivre, ce qui devrait troubler tout le monde, car même si elle ment, ce n’est pas drôle, car beaucoup ont vécu ce qu’elle décrit.
Le fait qu’il poursuive une nouvelle fois Heard en justice n’est absolument pas une preuve de son innocence non plus, car les tribunaux sont souvent utilisés comme un outil permettant aux agresseurs de poursuivre leurs abus.
Les lois sur la diffamation ont été de plus en plus utilisées ces dernières années en réponse aux histoires de #MeToo. Les agresseurs, en particulier ceux qui ont de l’argent et du pouvoir, peuvent exercer des représailles contre les victimes et tenter d’utiliser le système judiciaire pour déformer le récit. Depp a dit qu’il voulait l’humilier, et c’est exactement ce qu’il se passe. Il faut noter que c’est Depp qui la traîne devant de multiples tribunaux, pas elle.
Depp est dans l’industrie depuis avant la naissance de Heard. Il a des millions de fans qui l’adorent depuis des décennies. Les survivants de la violence domestique ne peuvent même pas dire qu’ils soutiennent ou croient Heard sans subir la colère de certains de ces fans inconditionnels. C’est en partie une question de misogynie, mais c’est aussi parce que Heard menace la mythologie construite autour d’un acteur.
Ne pas croire les survivant.e.s parce qu’une célébrité adorée est l’accusé envoie un message fort à toutes les victimes de violence domestique : si leur agresseur est apprécié, ce qui est souvent le cas, vous ne serez pas cru.e.
Peu importe de quel côté vous êtes, vous ne pouvez pas nier tout cela. Et CECI est une menace pour TOUTES les victimes de violences domestiques, quel que soit leur genre. Même s’il a été prouvé que Mme Heard a dit la vérité une fois au tribunal, si elle est toujours considérée comme une menteuse par le tribunal de l’opinion publique, quel message cela envoie-t-il aux victimes ? Des victimes qui n’ont pas d’argent, de célébrité, de photos de leurs blessures, d’enregistrements vocaux, de textos, un jugement de la Cour suprême qui la désigne comme victime et lui comme coupable. Quel espoir ont-elles ?
Quiconque utilise cette affaire pour faire des mèmes et des blagues, plutôt que d’ouvrir la conversation sur les hommes victimes d’abus, est extrêmement préoccupant et constitue une menace pour tout le monde. Des millions de femmes ont vécu ce que Mme Heard a décrit, et lorsque vous vous moquez d’elle, cela peut blesser toute personne ayant subi ces abus. »
Lignes d’assistance
Pour les violences conjugales spécifiquement : 0800 30 0 30 https://www.ecouteviolencesconjugales.be/
Centres de prises en charges des victimes de violences sexuelles : https://www.violencessexuelles.be/centres-prise-charge-violences-sexuelles