Au total, depuis la nuit de mardi à mercredi, ce sont six écoles de la région de Charleroi qui ont été victimes d’incendies criminels, la plupart du temps accompagnés de graffitis opposés au projet d’Education à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras). La nuit dernière, les actes de vandalisme ont également touché la région liégeoise, une école étant incendiée et taguée et une autre taguée avec la menace : « Stop Evras sinon c’est vous les suivants ».
Si les dégâts sont jusqu’ici limités, des bâtiments déjà vétustes ont été encore plus fragilisés. Le plus grave, bien entendu, c’est avant tout le choc causé parmi les parents et le personnel, mais surtout parmi les enfants. Il est difficile d’expliquer à un tout-petit pourquoi quelqu’un a mis le feu à son école, difficile de trouver les mots pour rassurer. Les personnes s’opposant à l’Evras affirment prétendument « protéger les enfants », mais de ces incendies est né le sentiment que l’école n’est désormais plus un lieu sécurisé.
L’une ou l’autre personne a distribué des tracts farfelus aux abords de certaines écoles mais, parmi les parents, de vive voix ou dans les groupes sur les réseaux sociaux, le sujet ne vivait pas. L’impact des campagnes de diffamation menées sur les réseaux sociaux par l’extrême droite et les mouvements religieux radicaux n’a pas pris dans un public plus large. Mais elles ont donné l’assise et la confiance à un.e criminel.le ou à un groupe de criminel.le.s.
L’Evras : derrière les fantasmes
Depuis cette rentrée, les élèves de 4e secondaire, mais aussi de 6e primaire, devront recevoir deux heures d’animation relatives à l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, autour de thèmes tels que les droits des femmes, la lutte contre les discriminations, le consentement, l’acceptation de soi, l’épanouissement sexuel, la connaissance de son corps, la déconstruction des stéréotypes de genre… Dans certaines familles, les parents sont aptes à donner les informations qui s’imposent, à répondre aux questions,… Mais dans beaucoup de cas, disposer d’un référent extérieur est primordial. Un autre changement majeur, outre le fait de passer de deux à quatre heures, c’est que les animations Evras seront désormais assumées par les plannings familiaux plutôt que par des ASBL choisies par l’école (qui aurait très bien pu choisir une ASBL anti-avortement pour assumer ces leçons par exemple).
Parmi les détracteur.trice.s de la démarche, beaucoup crient – sans fondement – à la « pédophilie ». Mais soyons clairs, dans les faits, s’opposer à ce genre d’initiative permet justement de protéger les criminels pédophiles. Ces ateliers, reposant sur l’écoute et le dialogue, peuvent grandement améliorer les possibilités de détecter une maltraitance, qu’elle soit sexuelle ou pas.
Finalement, au regard des besoins concrets sur le terrain, ce qui est proposé avec l’Evras, c’est bien peu. Dès le plus jeune âge, il faudrait commencer en abordant la gestion des émotions, la violence dans les écoles entre élèves et bien entendu garantir suffisamment d’espace et de temps pour accompagner les élèves à mesure qu’ils et elles grandissent. Les relations entre enfants sont insuffisamment prises en compte à l’école, et ça ne s’apprend pas avec un cours de math. Pourtant, dès le plus jeune âge, il est nécessaire de réagir, d’expliquer qu’on ne joue pas à soulever la jupe des filles, de familiariser à la notion de consentement… Prendre ces questions à la légère nourrit notamment la culture du viol.
Nous vivons hélas dans une société qui repose sur le conflit et la violence permanents, le reflet de cette situation dans le harcèlement scolaire et les agressions de toutes sortes est largement ignoré. Tout cela exige des classes plus petites, plus de collègues (y compris pour encadrer les récrés et la garderie), plus de formation, plus de liens avec les associations de terrains… et donc plus, beaucoup plus, de moyens.
Rajoutons encore que si l’éducation sexuelle, relationnelle et affective est si absente de l’enseignement aujourd’hui, c’est une réflexion de la fonction assignée au système d’éducation par la société de classe dans laquelle nous vivons. L’enseignement est avant tout conçu pour répondre aux nécessités économiques capitalistes et à la main d’œuvre que cela exige, non pas pour assurer l’épanouissement de chacun.e.
Construire une solidarité active
La haine et la lâcheté à la base de ces incendies ne tombent pas du ciel. Partout à travers le monde, les fondamentalistes religieux, la droite populiste et l’extrême droite cherchent à contrarier l’élan de lutte contre les discriminations sexistes et LGBTQIA+phobes que nous avons connu ces dernières années. Cela ne se passe pas sans réaction. Au Canada, le syndicat IATSE s’est mobilisé contre une manifestation d’extrême droite devant un camp d’été pour drag-queens et kings. En Irlande, les bibliothécaires et leur syndicat se sont eux aussi récemment organisés contre des actions d’intimidation où des militants d’extrême droite venaient arracher certains livres des étagères. Ce sont d’excellents exemples à suivre !
En Flandre, le Vlaams Belang présente les actes anti-Evras comme émanant de la « communauté musulmane » pour stimuler la xénophobie et le racisme, en oubliant opportunément les actions menées par Dries Van Langenhove à Bruges par exemple. Il y a quelques mois, il s’y était rendu pour intimider les participant.e.s à une lecture publique donnée par une drag queen avec pour pancarte « idéologie du genre = pédophilie ». Peu après, il avait posté une vidéo le montrant en train de harceler un commerçant qui avait accroché un drapeau Pride, qu’il qualifiait de « drapeau pédophile ». A Anvers, Dyab Abou Jahjah, fondateur de la défunte Ligue Arabe Européenne, a déclaré qu’en tant que parent, il est également préoccupé par « l’idéologie du genre » qui serait présente dans l’Evras.
La meilleure manière de réagir aux intimidations et violence réactionnaires, c’est par la mobilisation sociale. Si les cours d’Evras ont vu le jour, c’est en raison de la vague de luttes féministes de ces dernières années. Leurs limites, les réactions qu’ils suscitent ou encore le fait qu’en Flandre le ministre Ben Weyts a décidé que les cours d’éducation sexuelle ne seraient plus obligatoires dans les écoles flamandes à partir de ce premier septembre, tout cela nous montre que la lutte est encore loin d’être terminée.
Les organisations syndicales sont les outils par excellence pour lancer des initiatives pour regrouper dans la lutte parents, personnel enseignant et éducatif, des centres PMS (psycho-médicaux-sociaux) et services PSE (promotion de la santé à l’école), mais aussi plannings familiaux, associations féministes, LGBTQIA+… Construire une lutte de masse – en commençant, pourquoi pas, par une manifestation régionale en défense d’un enseignement réellement gratuit et de qualité, axé sur le bien-être des élèves et du personnel – est la meilleure façon qui soit d’isoler socialement les coupables, de couper court à leur confiance. No Pasaran !