“Oh, une robe de princesse !’’ s’écrie une petite fille. ‘‘Oh, un camion !’’, lui répond un petit garçon. Et la gamine de lui répondre, plus enthousiaste que jamais : ‘‘Oh, un cheval !’’ Cette publicité radio pour Dreamland n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des publicités genrées à la radio et à la télé qui accompagnent la période des fêtes.
Que ce soit dans les rayons des grands magasins ou dans les catalogues de jouets, tout est organisé pour bien indiquer aux enfants et à leurs parents quels jouets leur sont destinés : ceux liés aux soins et au paraître pour les filles et les jeux d’action et d’ingénierie pour les garçons. C’est même un phénomène qui est en augmentation : des marques comme Légo ou Playmobil, qui étaient autrefois destinées aux deux genres, produisent maintenant des boîtes de jeux spécifiques pour les filles et pour les garçons.
Diviser pour vendre deux fois plus
Cette division des jouets par genre n’est pas le fruit du hasard ; elle relève d’une réelle stratégie de marketing qui permet aux grandes enseignes de jouets d’en vendre deux fois plus. Ainsi, des parents qui achètent un vélo de ‘‘La Reine des Neiges’’ pour leur fille auront du mal à convaincre plus tard son jeune frère de rouler avec, et seront donc incités à en acheter un deuxième.
Le dommage collatéral de ce marketing n’est pas minime. Les enfants se voient inculquer dès leur plus jeune âge que les hommes et les femmes n’ont pas le même rôle dans la société. Non seulement les enfants intègrent les préjugés sexistes de cette façon, mais en plus ils se voient limités dans leur choix de jouets et d’activités en fonction de leur genre. Et puisque les jouets sont un moyen d’apprentissage, les filles et les garçons ne développeront pas les mêmes compétences et les mêmes goûts et n’auront pas accès à l’univers réservé à l’autre genre.
Seule solution : l’éducation ?
L’augmentation du phénomène des jouets genrés entraîne depuis quelques années une vague de réactions et critiques. Face à ce constat, certaines enseignes réagissent en adaptant leur publicité et en présentant leurs jouets comme neutres. On se rappelle que les magasins Super U en France avaient créé le buzz en 2015 via un spot publicitaire allant à l’encontre des préjugés sexistes, qui était rapidement devenu viral sur les réseaux sociaux.
Bien sûr, dans le cas de Super U, l’objectif de la chaîne était avant tout de surfer sur la vague de critique des jouets genrés pour faire parler d’elle et engendrer plus de profits. Toutefois, beaucoup de personnes sont persuadées que la seule façon de lutter contre le sexisme, et notamment les jouets genrés, c’est d’éduquer les gens par des campagnes d’information et dans les écoles. Ce type d’approche a pourtant ses limites.
Les jouets genrés apprennent aux enfants le rôle qu’ils sont censés prendre dans la société en tant qu’homme ou femme. Or, si les hommes et les femmes se voient attribuer des rôles sociaux différents, c’est parce que la position économique qu’ils occupent est également différente. Ainsi, le fait qu’une femme touche en moyenne un salaire plus faible que son conjoint aura pour conséquence que c’est généralement elle qui va abandonner son travail ou passer à temps partiel pour s’occuper des enfants.
La manière dont sont organisés les services publics et la sécurité sociale a un impact direct sur cette répartition des rôles. Par exemple, le congé de paternité est très court en Belgique force dès le départ les jeunes mères à s’occuper seules de leurs enfants. De même, la pénurie de places dans les crèches et dans les maisons de repos et le coût de ces services en constante augmentation poussent les femmes à rester à la maison pour s’occuper de leur bébé ou d’un parent malade.
L’éducation est bien sûr un outil important, mais elle ne change pas la manière dont la société est organisée. Convaincre les parents d’acheter des jouets neutres n’est pas suffisant si on ne s’attaque pas aux causes des inégalités entre hommes et femmes et des préjugés sexistes qui vont avec.
Toujours plus de jouets, toujours moins de temps en famille
Pour des parents qui courent toute la journée entre leur travail, les courses et la crèche ou l’école, offrir des jouets – qu’ils soient genrés ou non – peut être une façon de se déculpabiliser de ne pas prendre plus de temps pour jouer avec leurs enfants. Cette tendance est bien évidemment exploitée par les enseignes de jouets qui y voient une façon de maximiser leurs profits.
Pourtant, le meilleur cadeau pour ces familles ne serait-il pas de pouvoir passer plus de temps ensemble pour les loisirs, et moins de temps au boulot, dans les embouteillages ou à faire le ménage ? Cela nécessiterait un projet de société qui va à l’encontre des politiques d’austérité actuelles, de la flexibilisation toujours plus accrue du travail (Loi Peeters), une société qui réponde aux besoins de base des familles. Cela signifie d’assurer que chacun dispose de revenus suffisants, d’offrir des allocations familiales qui couvrent réellement le coût d’un enfant, et de renforcer les services publics : crèches, écoles, loisirs, écoles de devoirs, transports publics, etc. et la création de nouveaux : blanchisseries, ateliers de repassage, services de nettoyage, services de repas frais et de qualité sur les lieux de travail, dans les écoles et les quartiers, etc.
Et puisque ces services publics libéreraient les femmes de tâches qui leur sont traditionnellement dévolues (le ménage et l’éducation des enfants), ils participeraient à lutter contre les préjugés sur les rôles que les hommes et les femmes sont censés remplir. Les jouets genrés n’auront qu’à bien se tenir.