Avortement : Le gouvernement vend le statu quo comme un progrès !

Interview d'Anja Deschoemacker

Après avoir tout d’abord donné l’impression que le gouvernement allait remettre au prochain gouvernement de prendre une décision, Michel a sorti un lapin blanc de son chapeau. Exemple typique du « compromis à la belge » : l’avortement jusqu’à 12 semaines est retiré du code pénal, mais il reste un délit si des conditions très restrictives ne sont pas remplies.

Cela illustre singulièrement les limites du lobbying sans construction d’un rapport de force en dehors du parlement.

Si le mouvement pro-choix en Irlande s’en était tenu à une telle approche, sa récente victoire aurait été impossible. Après tout, ce n’était pas une « révolution silencieuse », mais bien une mobilisation de masse très bruyante qui a duré des années !

Qu’est-ce qui changera si la proposition des partis au pouvoir est approuvée ?

Actuellement, quiconque avorte ou aide à avorter est punissable, à moins qu’un certain nombre de conditions ne soient remplies. Les femmes doivent être dans une situation d’urgence, mais ce sont les femmes elles-mêmes qui interprètent cela. L’avortement peut être pratiqué au plus tard après 12 semaines de grossesse, ce qui comprend la semaine obligatoire de « délai de réflexion ». Après 12 semaines, l’avortement n’est possible que si la poursuite de la grossesse présente un danger grave pour la vie de la femme ou s’il est établi que l’enfant souffre d’une maladie incurable.

Aujourd’hui, l’avortement devient un droit plutôt qu’un crime si ces conditions sont remplies. Les conditions elles-mêmes restent inchangées. Les centaines de femmes belges qui doivent se rendre à l’étranger chaque année parce qu’elles se sont rendus compte trop tard de leur grossesse indésirée devront continuer à le faire. Et elles restent condamnables !

Le délai de réflexion obligatoire est maintenu, mais il serait possible de l’ajouter aux 12 semaines. Comme si les femmes étaient de petits enfants incapables de penser par elles-mêmes avant de demander qu’un avortement soit pratiqué !

De plus, les médecins qui refusent de pratiquer un avorter devront désormais réorienter les femmes vers d’autres médecins. Là aussi, la réalité de la pratique est simplement établie aujourd’hui et transposée en droit.

Tout cela est également lié à un accord sur la reconnaissance des enfants mort-nés, que le CD&V et la N-VA ont mis sur table pour accepter de dépénaliser l’avortement. A quel point peut-on être cynique ?

Le droit de chaque femme de décider sur son propre corps – et oui, un fœtus fait partie du corps de la femme jusqu’à la naissance, puisqu’il ne dispose pas de moyens de subsistance indépendants – est opposé au droit de faire officiellement son deuil dans le cas d’un enfant mort-né ? Comme si la reconnaissance de l’un rendrait la reconnaissance de l’autre impossible !

Pourquoi cette proposition arrive-t-elle maintenant ?

Il s’agit d’une tentative cynique de rendre impossible tout progrès réel. Selon le quotidien flamand De Standaard, les parlementaires des partis au pouvoir favorables à un changement beaucoup plus important auraient eu difficile à tout simplement rejeter la proposition des partis d’opposition.

Ils peuvent maintenant le faire en toute tranquillité pour ensuite approuver la proposition du gouvernement et ses progrès purement symboliques et extrêmement limités – la seule chose que le CD&V et le N-VA permettent. On évite de cette manière qu’une majorité parlementaire alternative ne se dégage en faveur d’une proposition plus ambitieuse.

La proposition des partis d’opposition est cependant plus conforme aux témoignages des experts lors des auditions parlementaires.

Pour la grande majorité des femmes souhaitant avorter, l’extension du délai légal à 18 semaines et la réduction du délai de réflexion à 48 heures représenteraient de grands pas en avant.

Les experts appellent également à une véritable dépénalisation, qui doit inclure le retrait de toutes les sanctions. La proposition du gouvernement ne fait que reformuler d’une autre manière la situation qui prévaut aujourd’hui dans les faits.

Comment pouvons-nous empêcher que cela ne se reproduise ?

Les partis d’opposition (PS/SP.a, Ecolo/Groen, Défi, PTB/PVDA) qui ont soutenu l’avancée réelle susmentionnée ont été rejoints par des députés de l’Open VLD et du MR. Cependant, aucune de ces forces n’a livré une véritable bataille, le sujet est resté cloisonné aux sessions parlementaires. On peut dire la même chose des grands partis irlandais et de la direction des organisations féministes bourgeoises – qui, là aussi, avaient limité leur action au lobbying.

Sans l’existence de députés tels que Ruth Coppinger (Solidarity) et d’organisations telles que ROSA-Irlande – qui ont saisi chaque occasion de pousser le débat dans la rue et ont utilisé chaque tentative de limiter les avancées comme une opportunité pour une mobilisation de masse – l’Irlande n’aurait jamais fait un tel pas en avant.

Il va sans dire qu’en Belgique, la campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité) soutient les propositions législatives des partis d’opposition.

Nous appelons ces partis et toutes les organisations féministes à faire pression pour imposer dès que possible un changement réel, dans le cadre d’une campagne de mobilisation ambitieuse avec un calendrier d’actions. Si tel est le cas, ROSA sera un allié très dynamique. C’est de cette manière que l’Irlande est allée de l’avant avec un grand bond en avant !

ROSA se bat pour un véritable programme pro-choix, qui défend la possibilité de réellement prendre une décision en toute liberté, c’est-à-dire le droit de décider librement de procéder à un avortement, mais aussi celui de ne pas être poussée à avorter uniquement par nécessité financière.

  • Les femmes doivent avoir le droit de décider sur leur propre corps : l’avortement doit être retiré du droit pénal !
  • Pour des allocations familiales qui couvrent les coûts réels d’un enfant !1
  • Pour des contraceptifs gratuits et accessibles librement (dans les écoles et les universités par exemple) afin d’éviter les grossesses non désirées, y compris chez les mineures, les femmes les plus précarisées et les femmes sans papiers.

Note :

1 Selon l’association Gezinbond : « chaque enfant coûte en moyenne 492,15 euros par mois. Cela n’inclut pas les frais de garde d’enfants et l’enseignement. Cette moyenne est un montant purement théorique : les coûts réels d’un enfant varient considérablement en fonction de l’âge. Un enfant de moins de 5 ans coûte en moyenne environ 334 euros par mois, alors que les enfants de 18 à 24 ans vivant à la maison coûtent 634 euros. » – Het Laatste Nieuws, 3 juillet 2018


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