La polarisation transphobe provoque de profondes blessures, et pas au sens figuré. Les politiciens de droite distillent la haine d’un groupe opprimé victime d’années de traumatisme pour dévier l’attention de leur programme d’austérité. Mais la lutte continue de mener à des victoires réelles et salvatrices, en Belgique et ailleurs. Des Pride combatives et porteuses de revendications sociales sont donc importantes.
Au cours des 20 dernières années, les droits des personnes trans et non-binaires ont progressé. En Belgique, la possibilité de modifier l’enregistrement du sexe dès 16 ans, les lois contre la discrimination et les soins aux personnes transgenres représentent des améliorations notables. Ces droits ont été obtenus sous la pression du mouvement LGBTQIA+, qui mène un combat acharné depuis les années cinquante. En Flandre, les coming-out transgenres courageux du chanteur du groupe K’s Choice Sam Bettens et de la journaliste Bo Van Spilbeeck ont pu compter sur une large sympathie. En 2018, le livre de Bo Van Spilbeeck concernant sa transition fut le plan grand succès de librairie de Flandre. Un véritable intérêt pour les personnes transgenres existe au sein de la population.
La haine d’extrême droite
C’était compter sans l’extrême droite. Le néofasciste Dries Van Langenhove et la section brugeoise du Vlaams Belang ont mené une action d’intimidation face à un atelier de lecture donné par une drag queen au musée de Bruges. A La Louvière, fin avril, l’association « Valeurs saines » a également voulu saboter la lecture d’un conte pour enfant par le groupe de drag queens « Unique en son genre ». Une rapide mobilisation antifasciste a pu protéger l’événement.
Cette focalisation de l’extrême droite sur la transphobie est relativement neuve en Belgique et les médias leur ouvrent les bras. Quand Bo van Spilbeek a fait son coming-out, les médias traditionnels ont offert une tribune à Dries Van Langenhove et à d’autres transphobes. Cela donne des titres choc et les clics qui vont avec. Les médias donnent ainsi au « mouvement » transphobe une attention bien plus grande que ce qu’ils représentent en réalité, une vulgaire clique de néonazis braillards devant un musée.
Cela ne signifie pas que la transphobie diffusée par l’extrême droite avec l’assistance des médias traditionnels n’a pas d’impact concret. Elle légitime la haine et la violence et a un impact traumatisant sur de nombreuses personnes. Mais des pas en avant continuent d’être posés. En Espagne, une loi a récemment été mise en œuvre qui fait progresser les droits des personnes LGBTQIA+ de plusieurs kilomètres : les personnes transgenres mineures peuvent désormais entamer leur transition sans période d’attente. En Finlande, une loi a été votée cette année pour garantir la possibilité de changer de sexe à l’état civil sans rapport psychiatrique ni stérilisation.
La lutte porte ses fruits
Ces deux lois sont nées d’une mobilisation soutenue. Ce n’est pas un hasard. Les droits des LGBTQIA+, comme ceux des femmes ou d’autres droits, n’ont jamais été naturellement acquis. Il n’y a pas de progression linéaire automatique vers plus de droits ou d’acceptation. Les changements législatifs dramatiques survenus aux États-Unis ces derniers mois l’ont clairement montré. De la révolte de Stonewall en 1969 à aujourd’hui, chaque droit, chaque protection, chaque loi est le résultat d’une lutte acharnée. Même face à des attaques concrètes, la lutte est la meilleure réponse. Par exemple, Posie Parker, une transphobe britannique bien connue, a dû annuler sa tournée en Nouvelle-Zélande après les protestations de milliers de personnes. La majorité des gens s’oppose à la haine d’extrême droite. En manifestant et en occupant la rue, on démontre immédiatement que les transphobes ne représentent qu’une minorité. Après l’action transphobie à Bruges, des employés de musées locaux ont posé devant un drapeau arc-en-ciel avec le slogan « We won’t back down ! » (Nous ne reculerons pas !) Ils étaient au moins quatre dois plus nombreux que l’extrême droite.
Diviser pour mieux régner
Ce n’est pas un hasard si l’extrême droite joue aujourd’hui la carte de la transphobie. Elle n’a pas de réponse aux problèmes qui préoccupent réellement son électorat : baisse du pouvoir d’achat, augmentation des listes d’attente, prix élevés… Alors elle revient à sa pratique habituelle : attiser la haine et la division. La méthode n’est pas le monopole de l’extrême droite. En France, Macron et son gouvernement veulent utiliser le racisme pour tenter de surmonter la crise de régime née de l’extraordinaire mobilisation contre la réforme des retraites. En pleine tempête syndicale, le gouvernement britannique a bloqué un projet de loi écossais devant rendre le processus de reconnaissance du genre moins « intrusif et traumatisant ». Voyons les discriminations pour ce qu’elles sont : une manière de saper la résistance sociale.
Soins de santé et enseignement
Le manque de moyens dans les soins de santé et l’enseignement contribuent particulièrement à la récente polarisation transphobe. Les soins aux malades, aux personnes âgées et aux enfants sont réduits à néant et relèvent de plus en plus de la famille. Cela signifie que l’accent est mis sur l’homme, la femme et l’enfant, sur la famille nucléaire binaire et sur la méfiance à l’égard de celles et ceux qui ne cadrent pas dans cette vision. Plus les tâches de soins sont privatisées, plus le système capitaliste a besoin de responsabiliser les « valeurs familiales traditionnelles ».
Ce n’est pas une coïncidence si la Campagne ROSA place le financement des soins de santé et de l’enseignement au centre de ses actions « Pride is a Protest ». Les investissements dans les soins signifient aussi la fin des listes d’attente pour les soins aux personnes transgenres. Des investissements dans l’enseignement sont nécessaires pour parvenir à une éducation sexuelle et relationnelle inclusive et de qualité. La formation continue des enseignants en matière de genre, des classes plus petites pour permettre de vraies discussions, des équipes de genre nombreuses et bien formées pour permettre une meilleure prise en charge des personnes trans, une aide psychologique gratuite et suffisante… Pour répondre à toutes ces demandes vitales, nous devons rompre avec la logique d’austérité capitaliste. L’argent est là. Les 20 plus grandes entreprises cotées en bourse en Belgique ont distribué 8 milliards de dividendes à leurs actionnaires.
De plus, ces revendications ne concernent pas seulement les personnes transgenres. Votre voisin et votre grand-mère bénéficieraient également de meilleures écoles et de meilleurs hôpitaux. Une lutte solidaire entre voisins, grands-parents et syndicats peut déplacer des montagnes. La campagne de solidarité « Lesbians and Gays support the Miners » (Lesbiennes et Gays en soutien des mineurs) a marqué un tournant dans l’histoire des LGBTQIA+ au Royaume-Uni durant la grève des mineurs de 1984-85. En outre, les revendications sociales démasquent l’extrême droite. Si Dries Van Langenhove et ses sbires sont si désireux de protéger l’âme des enfants, pourquoi le Vlaams Belang vote-t-il systématiquement contre l’augmentation des fonds alloués à l’enseignement ?
Des avancées démocratiques sont toujours très fragiles si on ne met pas les moyens pour résorber les innombrables pénuries sociales. La partie non rentable du secteur de santé, les soins aux personnes, sont financés par la collectivité tandis que la partie rentable du secteur, la production pharmaceutique est aux mains de grands groupes privés. Ces groupes privés devraient être nationalisés pour garantir des médicaments et des traitements gratuits, libres de tous brevets, au sein d’un service public national de santé. La nationalisation de l’ensemble du secteur financier, en mettant ce secteur hors des griffes des spéculateurs, permettrait de disposer d’une source réelle de financement pour l’ensemble de nos services publics, dont l’enseignement, l’aide sociale, l’aide aux victimes, l’accueil des enfants,…
Les blessures infligées par la polarisation transphobe actuelle sont profondes et malheureusement pas toujours connues. Elles s’ajoutent aux cicatrices des années précédentes. Le choc et la peur sont des réactions logiques. Pourtant, les actions Pride is a protest ne sont pas défensives, il s’agit avant tout d’une lutte militante, solidaire et sociale. Des victoires très réelles, comme celles en Nouvelle-Zélande et en Espagne, peuvent être remportées ici aussi. Nous ne nous tairons pas !
Les transphobes se focalisent sur le sport
Les transphobes ont récemment insisté sur l’exclusion des femmes transgenres des sports (de haut niveau). Les fédérations de natation et d’athlétisme leur ont emboîté le pas et ont exclu les femmes transgenres. Ils espèrent marquer des points facilement en se basant sur l’image sexiste du corps d’une femme. « Regardez comme elle est musclée, ce n’est sûrement pas normal », déclarent-ils.
Cependant, une étude du Centre canadien pour l’éthique dans le sport, qui a compilé toutes les études sur les femmes transgenres dans le sport de haut niveau entre 2011 et 2021, conclut : « Ce qui menace le sport de haut niveau féminin, tant pour les femmes cisgenre que pour les femmes transgenres, ce ne sont pas les femmes transgenres, mais plutôt la discrimination sous la forme d’un sous-financement, d’une participation et d’un leadership inégaux, d’une distribution et d’un accès inégaux à l’espace sportif et d’une série d’opportunités que les femmes n’obtiennent pas sur un pied d’égalité. »
La recherche américaine, quant à elle, conclut que les écoles et les universités qui s’engagent à inclure les personnes transgenres dans le sport obtiennent également de meilleurs résultats en ce qui concerne l’inclusion des femmes cisgenres.
La droite et les instances sportives utilisent la transphobie pour détourner l’attention du manque flagrant d’investissements pour permettre l’égalité d’accès au sport. Et ils ne veulent surtout pas parler du sexisme dans leurs sports respectifs.