[Interview] Covid19. Le confinement et la crise sanitaire font grimper en flèche la violence à l’égard des femmes

La journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes est célébrée le 25 novembre. Qu’en sera-t-il cette année en Belgique ? Nous en avons discuté avec Emily Burns, coordinatrice nationale de la Campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité).

Entrons toutes en tous en action contre les violences sexistes & LGBTQI+phobes !

La journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes est célébrée le 25 novembre. Elle fait référence à l’assassinat politique commandité par le dictateur dominicain Rafael Trujillo des sœurs Mirabal le 25 novembre 1960. Ces dernières années, cette journée a adopté un caractère plus combatif et militant dans le sillage du développement du nouveau mouvement international de lutte en faveur de l’émancipation des femmes. Qu’en sera-t-il cette année en Belgique ? Nous en avons discuté avec Emily Burns, coordinatrice nationale de la Campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité).

Bonjour Emily, le 25 novembre c’est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, la Campagne ROSA prévoit-elle de mobiliser à cette occasion ?

Absolument ! La crise sanitaire n’a pas mis un terme aux violences faites aux femmes, au contraire : on assiste aujourd’hui à une dangereuse augmentation de cette violence. La violence et le sexisme omniprésents représentent un danger tout aussi réel que le coronavirus. Nous estimons crucial de mener des actions dans la rue contre les violences faites aux femmes et envers les personnes LGBTQI+. Toutefois, la sécurité des militantes et militants est cruciale, c’est pourquoi la forme exacte des actions dépendra de la situation sanitaire.

Quel est l’ampleur de ce fléau ? Depuis quelques années, avec #Metoo, le harcèlement sexiste est davantage dénoncé. Durant le confinement, les médias ont parlé de ce qui se passe derrière les portes closes des foyers et des violences qui peuvent s’y dérouler…

Les violences sexistes et les féminicides, c’est l’autre pandémie, cachée celle-ci, toujours à l’œuvre. Selon les données des Nations Unies (ONU), 17,8% des femmes dans le monde ont subi des violences physiques ou sexuelles durant l’année 2019 et une femme sur cinq a été victime de violence de la part d’un proche. C’est sans compter les violences psychologiques, le harcèlement, etc. En Belgique, plus de la moitié des personnes LGBTQI+ ont déjà subi ce type de violence dans leur vie. Le sexisme, c’est aussi des discriminations, des comportements et remarques inappropriés, mais aussi de la violence économique avec une surreprésentation des femmes et personnes LGBTQI+ précaires.

Avec la crise sanitaire et le confinement, on a enfin entendu parler de ce qui se passe dans les foyers. C’est un fait connu et démontré, la violence domestique augmente pendant les crises. Durant le (semi-)confinement, la tension augmente dans tous les foyers. Lorsqu’il y a déjà violence, c’est l’enfer qui s’instaure de manière permanente. Les personnes victimes de violence sont contraintes à des contacts plus étroits et sans plus aucun moments de répit avec leurs agresseurs. Ces derniers peuvent, de plus, davantage surveiller leurs comportements et les empêcher de rechercher du soutien ou de l’aide. Malgré ça, les appels à l’aide pour violences domestiques ont triplé en Belgique durant le confinement !

Même la Banque mondiale, dans son rapport d’octobre 2020, alerte face à l’explosion de la violence contre les femmes dans le monde. Cela ne l’empêche pas pour autant de continuer à préconiser des politiques d’austérité telles que les coupes budgétaires dans la santé, l’éducation qui impact encore plus durement les femmes…

Cette violence se concentre-elle au foyer ou est-elle aussi présente dans le reste de l’espace public ?

Si elle a pris une forme encore plus aiguë dans les foyers, la crise sanitaire dégrade la situation partout et les violences sexistes touchent toutes les sphères et tous les espaces. Par exemple, lorsqu’il y a un confinement ou un couvre-feux, le harcèlement dans l’espace public est moins « atténué » par un certain contrôle social.

Depuis mars, les réseaux sociaux sont devenu encore plus centraux dans la vie de beaucoup. Ils mettent une forte pression sur l’image que l’on donne de soi, et on tant à oublier que les photos, avec leurs filtres et leurs mises en scène, ne représentent pas la réalité. Les critiques et le harcèlement y sont monnaie courante et peuvent se poursuivre 24h/24 et 7j/7. Heureusement, la crise sanitaire n’a pas stoppé le processus de radicalisation à gauche de jeunes qui ne sont plus prêtes (et prêts) à accepter cette situation. Et les réseaux sont parfois aussi utilisés pour dénoncer cette situation et organiser la résistance.

Ainsi, à la suite d’un viol collectif d’une jeune de 16 ans en Israël, des jeunes sont descendus dans les rues durant trois jours, du 20 au 23 août, pour manifester (souvent pour la première fois) jusque tard dans la nuit. Cette protestation s’est clôturée par une grève féministe à laquelle des milliers de personnes ont participé.

A la rentrée scolaire, un mouvement s’est développé revendiquant de ne pas être jugé ni mise à l’écart à cause d’habits. Dans les écoles, les codes vestimentaires sont appliqués de manière rétrogrades et stigmatisent d’autant plus les femmes. Pour les mec, porter est short est parfois considérer comme inconvenant. Mais pour les filles, jupe courte, crop top et décolleté sont considérés comme provocant. Selon cette logique, si une fille se fait harcelée, voir violer, ce serait de sa faute, car elle aurait provoqué sa propre agression par son choix vestimentaire… Une jupe longue peut, selon qui la porte, être considérée comme un signe de prosélytisme religieux et donc aussi prétexte de refus d’accès aux cours.

Au travers du hastag parti de France « #14septembre », des jeunes sont venues ce jour-là habillées avec la tenue qu’elles aiment, faisant fi des règlements discriminatoires. Des camarades de classe masculin ont également participé à cette action revêtant parfois une jupe pour l’occasion. Pour ces jeunes, le message rétrograde qui dit que la tenue prime sur l’accès à l’instruction doit faire partie du passé. Elles (et ils) dénoncent l’objectivisation des corps ; les excuses du style « cela pourrait perturber leurs camarades de classes et leurs prof-masculins » sont tout bonnement inacceptable. Le problème est dans le regard de celui qui porte ce jugement et non de l’habit qui est porté. Derrière cela, c’est aussi la marchandisation des corps et les injonctions paradoxales permanentes qui sont remise en question.

Ce phénomène a trouvé un écho en Belgique. Dans de nombreuses écoles, tout le monde, garçons et filles, a porté des jupes en signe de protestation. Il y a également eu beaucoup de réactions contre un règlement d’une école de Bruges où les boucles d’oreilles n’étaient autorisées que pour les filles.

On a touché un mot de la situation à la maison, dans l’espace public et à l’école, quelle est-elle au travail ? La crise sanitaire a mis en avant les personnes travaillant dans les secteurs essentiels (soins, distribution, aide familiale,…) où les femmes sont majoritaires. C’est plutôt positif, non ?

Oui en effet, ces personnes habituellement invisibles ou méprisées ont été présentées comme des héroïnes. Cependant, leurs conditions de travail sont particulièrement déplorables : temps partiels involontaires dans la distribution, heures supplémentaires dans les soins, risque sanitaire accru sans fourniture de matériel de protection pour les aides à domicile,… Le salaire horaire est, de plus, régulièrement inférieur à 14€ brut ! Enfin, les contrats précaires (intérim, CDD) sont courant et limitent la possibilité de revendiquer des conditions de travail décentes, de peur de perdre son emploi. Aussi essentielles soient ses travailleuses, elles ne sont pas traitées comme des héroïnes !

Dans beaucoup d’autres secteurs, le télétravail c’est mis en place tant bien que mal. Et quand les écoles et crèches sont fermées, il faut aussi s’occuper des enfants toute la journée, essayer tant bien que mal de suivre leur scolarité et de trouver des activités, tout en faisant toutes les autres tâches domestiques et télétravaillant. La double journée de travail des femmes est décidément très lourde à supporter.

Travailler ainsi n’étant souvent pas possible, beaucoup ont dû prendre un congé parental corona durant le confinement ou un congé corona de quarantaine en vigueur actuellement. Mais cela signifie perdre près de 30% de son salaire. Mais pas le choix, on ne peut pas abandonner les enfants à eux-mêmes et les grands-parents ne peuvent pas aider vu le risque lié à l’âge ou parce qu’ils travaillent encore, et puis il faut limiter les contacts… En toute logique, le parent avec le plus petit revenu (généralement la femme) prend ce « congé », perdant par la même aussi son indépendance financière…

En effet, la situation n’est pas bonne et doit être dénoncée et combattue. Mais quel est le lien avec la journée de lutte contre les violences faites aux femmes ?

La précarité nous rend plus vulnérables aux autres formes de violences. Comment dénoncer le harcèlement au travail lorsqu’on a peur de perdre son emploi et qu’on a pas d’alternative (chômage, autre emploi) ? Comment quitter une situation familiale violente si notre revenu ne nous permet pas de vivre seule ? Et selon une étude du Taub Center (une agence d’études israélienne qui mène des recherches sur la politique sociale), la pandémie pourrait retarder de 10 ans les progrès concernant la position des femmes sur leur lieu de travail.

Nous sommes au milieu de la crise sanitaire, mais nous ne sommes qu’au début de la crise économique qui va suivre ; et si je te suis bien, ça sera encore plus catastrophique pour les femmes…

En effet ! La dépression économique entraînera une nouvelle augmentation de la violence, car elle restreindra encore plus durement l’indépendance financière des femmes. Le chômage augmente plus rapidement chez les femmes – ainsi que chez les jeunes et les personnes immigrées – car elles travaillent plus souvent sous des contrats précaires et sont plus exposées aux licenciements. C’est ce qu’illustre une étude de McKinsey Global qui démontre qu’aux États-Unis, les femmes représentent 43% de la population active, mais supportent 56% des pertes d’emplois liées à la Covid19.

Mais ne soyons pas défaitiste ! Dans les secteurs essentiels – où les femmes sont majoritaires – il y a des opportunités pour lutter pour un salaire horaire minimum de 14 euros brut et contre les contrats précaires. Une bataille spécifique pourrait aussi se développer autour des conditions du télétravail lorsque les enfants doivent rester à la maison.

Nous avons aussi un gouvernement qui, pour la première fois, est composé à 50% de femmes ; la Chambre et du Sénat sont présidés par des femmes. C’est un bon signe, non ?

Dans la sphère politique – comme dans le monde des entreprises – l’élite a intégré qu’il est important d’avoir une certaine diversité. La parité tant à devenir la norme, un progrès symbolique, mais qui s’arrête souvent là, au symbole. La diversité organisée au sein de la classe dominant ne signifie malheureusement pas une réduction des discriminations ni une amélioration des conditions de vie pour l’immense majorité des personnes discriminées.

Le mot « féminicide » pourrait bien entrer dans le code pénal. L’accord de gouvernement plaide également en faveur d’une meilleur formation de la police et des acteurs de premières lignes aux violences intrafamiliales. C’est en effet important, car souvent les femmes ne sont pas prises au sérieux. Il s’agit maintenant de mettre cela réellement en œuvre en dégageant des moyens, car cette bonne intention n’est pas budgétisée.

Les violences contre les femmes et les personnes LGBTQI+ est une pandémie qui tue et force plus de la moitié de la population à adapter ses comportements. A ce titre, le gouvernement n’est malheureusement pas crédible lorsqu’il dit faire de « la violence de genre » une « priorité ». Il est heureux que la secrétaire d’État à l’Égalité des chances Sarah Schlitz (Ecolo) ait précisé que fuir une situation de violence la nuit est autorisé malgré le couvre-feux, mais encore faut-il avoir un endroit où aller… Les politiques annoncées par la Vivaldi ne vont pas permettre aux femmes – et aux autres personnes victimes de violence – de quitter une situation de violence. L’accord ne prévoit pas de politique assurant l’indépendance financière des femmes au travers d’allocations au-dessus du seuil de pauvreté (allocation de chômage, allocation d’insertion…) ou d’un salaire décent (min 14€min/h), l’arrêt des flexi-jobs et la lutte contre les temps partiels involontaire. Le débat a été vif sur la pension minimum entre partis de la majorité, mais tous discutaient dans le cadre d’une carrière complète, soit une carrière de 45 ans alors que la carrière moyenne (y compris avec période assimilées) pour une femme actuellement est de 34,2 ans. Le fédéral ne veut pas non plus arrêter de renvoyer les demandeuses d’asile dans les régions contrôlées par les forces réactionnaires telles que les talibans. Aux autres niveaux de pouvoir, il n’y a pas de politique pour encourager la création en masse de logements sociaux et de refuges en suffisance, etc.

Que faudrait-il faire pour réellement lutter contre les violences sexistes ?

Pour remédier aux violences sexistes, les mesures symboliques sont insuffisantes. Il est nécessaire de combiner des revendications pour un enseignement de qualité et un meilleur accompagnement des victimes à celles contre l’objectification des corps pour faire des profits. Il faut aussi amorcer les luttes nécessaires pour permettre l’indépendance économique des femmes afin qu’elles puissent quitter des situations de violence et opérer un réel choix sur leur vie. Seul un vaste programme de satisfaction des besoins sociaux par des services publics de qualité et suffisant ainsi que des conditions de travail et de salaire dignes peut mettre fin aux discriminations.

La marchandisation de nos corps et les bas salaires ne profitent qu’à un seul groupe de la population : les très riches qui ont d’ailleurs augmenté leur fortune de 28% durant la crise sanitaire. Sexisme, racisme, LGBTQI+phobie, ils ont besoin de nous diviser pour mieux régner.

C’est cela le féminisme socialiste que défend la Campagne ROSA. Le problème est structurel, il faudra une société débarrassée de l’exploitation pour parvenir à en finir avec le sexisme. C’est un travail de longue haleine, un marathon et non un sprint. Mais un combat que l’on peut gagner si on uni toutes les personnes opprimées et exploitées. Et on l’a constaté ses dernières années, de plus en plus de personnes, en particulier les jeunes, sont prêtes à rentrer en résistance contre l’oppression, l’injustice et les inégalités.

N’hésitez pas à prendre contact avec nous pour participer à la journée internationale contre les violences faites aux femmes et en faire une journée de lutte. Rejoignez-nous lors des meetings en ligne de préparation. Si vous le pouvez, soutenez-nous financièrement, nous ne disposons que des ressources récoltées auprès de celles et ceux qui soutiennent notre combat.

Et bien entendu, rejoignez-nous !

Notes

1) rtbf.be, Hausse des agressions physiques envers les personnes LGBT, 13 mai 2019


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ROSA organise des actions, des événements et des campagnes pour combattre le sexisme et le système qui l’entretient : le capitalisme.