Le documentaire diffusé par la VRT Godvergeten (Les Oubliés de Dieu) a recueilli des témoignages courageux et inédits concernant les abus commis au sein de l’Église catholique. Une fois de plus, la société est sous le choc. Au même moment, l’entraîneur espagnol Rubiales était licencié à la suite d’un baiser forcé. Les victimes ne se taisent plus.
Par Arne Lepoutre
Abus et culpabilisation des victimes dans l’Église
Est-il possible de lutter contre de tels abus de pouvoir sans remettre en question les structures de pouvoir elles-mêmes ? Durant très longtemps, l’Église a concentré en ses mains un pouvoir spirituel, social, économique et politique. Elle exerçait un contrôle sur les fidèles et influençait fortement l’ensemble de la société.
Cela a donné lieu à des abus, notamment à l’encontre des plus vulnérables tels que les enfants et les orphelin.ne.s. Et les auteurs de ces abus s’en sont tirés à bon compte grâce aux dissimulations, tant de la part de l’Église que du pouvoir judiciaire. Les auteurs ont ainsi utilisé leur pouvoir non seulement pour commettre des abus, mais aussi pour les dissimuler. On a fait pression sur les victimes pour les dissuader de témoigner, leurs familles ont été intimidées. Qui sont-elles face à ces auteurs en position de force et qui jouissaient d’un si grand respect social ?
La culpabilisation des victimes repose sur des rapports de pouvoir et sur le mépris de la population. L’élite morale autoproclamée que constituent les prêtres et les évêques était encensée au plus haut point. Elle se sentait intouchable. Les gens se confessaient à des prêtres, certains se révélant être des abuseurs de longue date.
Les victimes s’avancent
Avec #MeToo, les choses ont changé. Les victimes d’abus se sont fait connaître, se sentant soutenues par la protestation féministe collective et grandissante. Toutefois, il fallait prendre des mesures. Cela a commencé par des sanctions. S’y sont ajoutés des codes de conduite et des lignes d’assistance téléphonique. Ces mesures importantes n’auraient jamais vu le jour sans de courageux témoignages.
Certains osent dire que les plaintes expriment la jalousie des plaignant.e.s à l’égard des accusés pour leur faire perdre toute autorité. Les études montrent que c’est un mythe: 97% des plaintes pour viol sont justifiées.
Les nombreux témoignages d’abus de pouvoir commis dans l’enseignement supérieur montrent les limites des codes de conduite et des lignes téléphoniques d’urgence. Des membres du personnel universitaire ont utilisé leur position de pouvoir pour commettre des abus et imposer le silence aux victimes sous la menace de briser les carrières des doctorant.e.s. Les contrats de travail précaires où un superviseur a droit de vie ou de mort pour la carrière d’une personne sont un terrain propice aux abus.
Il est impossible de lutter contre les abus sans s’attaquer aux structures de pouvoir. Il est parfaitement scandaleux que les fonds publics continuent d’alimenter l’Eglise. Elle reste une institution très puissante en dépit de son statut social en net déclin. Et les victimes sont toujours laissées pour compte après toutes ces années.
Le mythe de la normalité
Pour certains, les relations de pouvoir feraient partie de la nature humaine. À l’école, les cours d’histoire traitent essentiellement de figures puissantes essentiellement grâce à leurs victoires obtenues par la force et les atrocités. Le médecin Gabor Maté, spécialiste des traumatismes de l’enfance, nuance cette historiographie : « Pendant la plus grande partie de l’histoire, les humains ont vécu en petits groupes de deux cents personnes au maximum. Chez les chasseurs-cueilleurs, la cruauté semblait rare, sauf si le groupe devenait trop important ou si le territoire devait être défendu. Aujourd’hui, dans les grandes villes, on ne constate que l’indifférence à la souffrance d’autrui. »
Lorsqu’on lui demande s’il ne glorifie pas cette vie tribale, il répond qu’il ne faut pas revenir à cette époque, mais qu’on peut en tirer des leçons. « Nous apprenons dès l’enfance que la compétition et l’égocentrisme mènent au succès, pourtant la gentillesse et la coopération sont beaucoup plus proches de notre nature. Nous avons perdu le contact avec nous-mêmes. Nous considérons la compétitivité et l’égocentrisme comme normaux, alors que cette culture est contre nature et néfaste pour l’individu. C’est une société toxique. »
Cela est enraciné dans la propriété privée des moyens de production et la maximisation des profits, dont seule la minorité de capitalistes bénéficie. La classe dominante a un besoin absolu de discipliner la grande majorité de la population au travers de moyens tels que l’Église. Aujourd’hui, il s’agit des réseaux « sociaux », de la publicité, de l’enseignement… Une toile de relations de pouvoir est ainsi tissée pour imposer la discipline par la résignation sociale, voir l’adhésion à l’oppression et à l’exploitation.
Démanteler les structures de pouvoir
Le pouvoir est normalisé dans tous les aspects de notre vie: de notre éducation aux relations intimes, en passant par le lieu de travail. Les nombreuses carences sociales actuelles créent davantage de dépendance. Les loyers élevés entraînent une dépendance entre les colocataires. La plus grande partie des abus sexuels a lieu dans le cadre de relations, dont la grande majorité est caractérisée par l’inégalité et le pouvoir qui en découle.
Cela va de pair avec la propagande idéologique visant à nous faire accepter les inégalités. Dans son livre « Le mythe de la normalité », Gabor Maté décrit la façon dont nous trouvons normal que l’éducation soit axée sur la compétition et l’évaluation, plutôt que sur l’apprentissage et la détente. Il décrit comment nous sommes constamment évalués sur notre apparence, nos performances ou notre intelligence. En même temps, nous sommes constamment exposés aux publicités et à la pression exercée sur les consommateurs, qui prétendent qu’une identité unique et un meilleur style de vie sont tout simplement à vendre. Marx a expliqué la manière dont nous sommes aliénés par rapport à notre travail, à nos semblables et à la nature. Le capitalisme ne fait pas de nous des êtres humains faisant partie d’une humanité, mais nous convertit en individus.
Contrairement à ce que le capitalisme en fait, nos besoins ne se limitent pas à des choses comme la nourriture et un toit au-dessus de nos têtes. « Les gens ont besoin de liens, de sens, de coopération, d’un sentiment d’appartenance à une communauté. Si une société ne répond pas à ces besoins, cela entraîne des problèmes physiques et mentaux. » Le capitalisme encourage le narcissisme, l’égoïsme et la violence, ce qui favorise les abus de pouvoir.
La fin des privilèges associés aux positions de pouvoir est nécessaire pour contrer les abus. Des revendications comme celle du PTB de réduire de moitié les salaires des politicien.ne.s sont un pas dans la bonne direction. L’indépendance financière et le financement adéquat des services publics sont aussi des revendications essentielles dans la lutte contre les abus. C’est à partir de ces revendications que nous pourrons construire un rapport de forces plus ambitieux. Le démantèlement des structures de pouvoir du capitalisme ne peut se faire qu’en prenant le contrôle et la gestion démocratiques des richesses créées par la classe travailleuse. Cela implique un changement complet de société.