Les femmes, qui s’étaient habillées en noir pour protester le « deuil de leurs droits reproductifs » s’étaient rassemblées pour contrer l’attaque du gouvernement qui tentait d’imposer une nouvelle loi interdisant totalement le droit à l’avortement, déjà fortement restreint dans ce pays où l’église catholique est encore toute puissante. Une grève des femmes avait eue lieu le même jour, inspirée de celle des femmes islandaises en 1975.
Ce mouvement avait alors eu un impact fort dans la société polonaise. Le gouvernement conservateur du parti Droit et Justice (PiS) s’était empressé de faire annuler le projet de loi, malgré la pression des organisations pro-vies polonaises qui avaient initiées ce projet. Tandis que certains au sein du mouvement femmes appelaient à continuer la lutte, celui-ci avait fini par ralentir et peu d’actions avaient suivies, malgré l’appel à une seconde grève des femmes le 24 Octobre 2016.
Alors que le gouvernement avait reculé depuis les mobilisations de 2016, la lutte des femmes pour le contrôle sur leur corps a été par la suite marquée par deux événements clés en 2018 : le rejet du projet de « Sauvons les femmes » (de la plateforme pro-choice) par le Sejm (le parlement polonais) et le ralentissement du développement du projet « Arrêtons l’avortement » (de la plateforme pro-vie).
Ces deux projets de loi ont été soumis au parlement polonais en janvier 2018. D’un côté, les réactionnaires demandaient une interdiction de l’avortement même lorsque le fœtus est malformé, tandis que de l’autre, le mouvement « Ratujmy Kobiety » (« Save Women ») revendiquait le droit à l’avortement sur demande jusqu’à 12 semaines de grossesse.
Comme en 2016, le Parlement a voté pour discuter du projet de loi limitant l’avortement et a rejeté la proposition pro-choix en première lecture. L’opposition libérale traditionnelle (la « Plate-forme civique » et « Nowoczesna ») a joué un grand rôle dans le rejet du projet de loi, car de nombreux députés se sont abstenus, n’ont pas voté ou ont même voté contre. Ils n’étaient pas prêts à adopter une position claire.
Entre-temps, une majorité de leurs partisans était en faveur d’une loi plus libérale sur l’avortement. Beaucoup de leurs électeurs, qui n’ont jamais été intéressés par cette question, ont été convaincus par les arguments pro-choix au cours des deux dernières années qui ont suivies les mobilisations et ont été surpris de découvrir que leurs députés ne l’étaient pas.
Le comité « Ratujmy Kobiety » et ses partisans avaient passé des mois à recueillir suffisamment de signatures pour que le projet de loi proposant l’avortement sur demande soit discuté au Parlement, pour que leurs efforts soient aussitôt supprimés par la soi-disant opposition. Cela fut perçu comme une trahison par la couche du mouvement qui avait encore des illusions dans ces partis.
Dans toute la Pologne cette année, il y a eu des actions organisées par le parti de gauche « Razem » (Ensemble) et des manifestations appelées par « Strajk Kobiet ». Dans leurs discours à Cracovie, « Strajk Kobiet » (les organisateurs de la grève des femmes) a qualifié de « traîtres » les députés libéraux qui ont voté contre le droit à l’avortement, et a remercié ceux qui ont voté pour le projet de loi, appelant à voter pour les candidats pro-choix de n’importe quel parti lors des prochaines élections. Cela les a toutefois mis en décalage avec le mouvement, qui a appris à travers l’expérience la nécessité d’une indépendance par rapport aux partis capitalistes établis.
Nouvelles mobilisations
En contrepartie, la proposition d’interdire l’avortement en cas de malformation fœtale (la seule exception possible en Pologne) a été examinée par le comité parlementaire de la « politique sociale et de la famille ». Après l’échec de la précédente tentative de criminaliser l’avortement, la nouvelle initiative des fondamentalistes catholiques a été traitée avec prudence par le parti au pouvoir.
Malgré tout, en Janvier 2018 la menace de ce projet de loi a été soudainement mise en œuvre par le PiS. Le projet a été adopté dans l’attente de nouvelles procédures parlementaires. Cependant, la date exacte à laquelle le projet de loi pourrait être discuté de nouveau n’a pas été donnée. La commission parlementaire de la justice et des droits de l’homme n’a pas inscrit le projet de loi sur l’interdiction de l’avortement à son ordre du jour de janvier à juin.
Mais tout cela a changé après que l’épiscopat (la Conférence des évêques) ait demandé au gouvernement d’accélérer le projet d’interdiction de l’avortement. Les députés se sont mobilisés sous le fouet de l’Église catholique et, le 19 mars, ils ont adopté le projet de loi en commission, après une parodie de débat. Les étapes suivantes, à savoir l’approbation du projet de loi par la commission des affaires sociales, puis un deuxième vote au Parlement prévu pour le 23 mars, se sont déroulées en moins d’une semaine, ce qui a laissé très peu de temps au mouvement femmes pour se mobiliser.
Malgré cela, une manifestation nationale a été organisée à Varsovie pour le jour du vote (qui, au moment de la manifestation, a été reporté au mois d’avril). Des milliers de personnes de Varsovie et d’autres de toute la Pologne ont répondu à l’appel et ont envahies les rues. Selon l’estimation la plus courante, 55 000 personnes ont défilé à Varsovie ce jour-là – un chiffre supérieur à celui de la première grève des femmes en 2016. Ce taux de participation montre la colère existante et la perspective de résistance, surtout si l’on considère que la manifestation a eu lieu un jour de travail, avec un préavis très court. Alors que la manifestation nationale était la priorité, des milliers de personnes qui n’ont pas pu se joindre à la capitale ont protesté dans d’autres villes. Notamment 8 à 10 milles personnes ont manifesté à Cracovie, quelques milliers ont marché à Katowice, Wrocław, Poznań, Łódź, et Gdańsk. De petits piquets de grève ont eu lieu dans des douzaines de villes à travers la Pologne.
Alors que la manifestation à Varsovie marchait du Sejm jusqu’au siège du parti au pouvoir, des slogans ont été chantés contre l’interdiction, contre l’ingérence de l’Église catholique, pour le choix et pour des soins de santé décents pour les femmes. Des slogans antigouvernementaux plus radicaux ont également pu être entendus.
Le Rôle de la droite
Le gouvernement actuel est ouvertement anti-femmes et réactionnaire. Cependant, les idées qui criminalisent ou interdisent totalement l’avortement ne prédominent pas dans la société polonaise ; même la base électorale du parti au pouvoir ne soutient pas l’interdiction.
Le gouvernement actuel est ouvertement anti-femmes et réactionnaire. Cependant, les idées qui criminalisent ou interdisent totalement l’avortement ne prédominent pas dans la société polonaise ; même la base électorale du parti au pouvoir ne soutient pas l’interdiction.
Après le mouvement de 2016, le PiS a commencé à se pencher plus attentivement sur la question, essayant même de donner l’impression qu’ils étaient ouverts à la discussion sur la libéralisation. Cependant, le vrai visage du gouvernement a été montré une fois que le groupe de pression le plus puissant de la réaction – l’Église catholique – s’est exprimé sur la question. Le PiS s’est rapidement remis dans les rangs.
Cela a soulevé une grande colère : comment un corps non élu d’hommes âgés (l’épiscopat) pourrait-il avoir plus de poids pour décider des droits reproductifs des femmes que les femmes elles-mêmes ? C’est pourquoi, dans de nombreux endroits, les manifestations ciblaient les curies locales (administrations) de l’Église catholique.
Face à ces manifestations, le parti au pouvoir a d’abord tenté de discréditer les manifestations en prétendant qu’elles n’étaient « qu’un simple piquet de grève ». La télévision d’Etat est allée jusqu’à présenter les protestations comme des « féministes réclamant le droit de tuer des enfants ». Au fur et à mesure que les protestations se sont déroulées, certains politiciens du PiS ont commencé à assouplir leur position. Un eurodéputé PiS a donné l’impression dans une interview que le PiS ne s’opposerait pas de front au « compromis sur l’avortement » mais laisserait plutôt la Cour constitutionnelle décider. Étant donné que cet organisme est également contrôlé par le PiS, sa décision pourrait aller dans un sens ou dans l’autre.
Quelle est la prochaine étape ?
Le taux de participation et la réaction rapide et massive à l’attaque montrent la colère et l’énergie sous-jacente de la résistance contre la réaction. Depuis, le travail sur le projet de loi a été stoppé et, étant donné le bilan de ce gouvernement, il est probable qu’il y ait encore une tentative d’accepter le projet de loi du jour au lendemain pour surprendre le mouvement ou bien de le faire sortir plus tard pour fatiguer le mouvement.
Les dirigeantes de la « Grève des femmes » ont annoncé que si le projet de loi était adopté dans la chambre basse du parlement, elles protesteraient devant le Sénat et organiseraient un mouvement massif, cette fois au niveau local.
« Alternatywa Socjalistyczna », la section-sœur polonaise du PSL déclare qu’il est important de construire le mouvement pour donner aux masses l’espoir d’une lutte victorieuse.
Répéter la même méthode de démonstration à chaque nouvelle attaque sans aucune préparation ou construction entre les deux peut décourager et épuiser les participants. Le mouvement de masse devrait essayer de développer une structure démocratique – comme les comités d’action basés dans les écoles, les lieux de travail et les communautés – qui pourrait discuter et prendre des décisions sur les prochaines étapes, permettant plus d’espace pour une action plus directe, la désobéissance civile, etc.
Nous pensons également que la lutte des femmes pour le choix est une question de classe qui devrait être abordée avec les syndicats, ce qui pourrait aider à transformer la « grève des femmes », largement symbolique, en une véritable action de grève.
L’arrêt de l’attaque actuelle ne résoudra pas les problèmes auxquels sont confrontées les femmes polonaises en matière de droits reproductifs, en particulier ceux des femmes et des étudiantes de la classe ouvrière. Quel que soit le résultat de cette bataille, le groupe de pression fondamentaliste reviendra avec d’autres attaques – comme l’interdiction totale de l’avortement, la restriction de la contraception, etc. Des problèmes sous-jacents comme les lois restrictives sur l’avortement (un soi-disant compromis), un système de santé peu fiable, le manque d’éducation sexuelle et l’insuffisance des infrastructures de garde d’enfants doivent encore être combattus dans le cadre d’un programme socialiste de droits reproductifs complets et de services publics appropriés.
Nos revendications :
- Construisons un mouvement démocratique ! Pour la création de comités démocratiques au niveau local, municipal et national
- Pas de compromis ! Pour la libéralisation du droit – pour des avortements légaux, sûrs et gratuits sur demande !
- Des soins de santé gratuits et de bonne qualité – à bas les médecins qui se cachent derrière leur « conscience » !
- Accès complet à la contraception gratuite
- Remplacer la religion à l’école par l’éducation sexuelle obligatoire
- Traitement de FIV (Fertilisation In Vitro) gratuit pour toutes celles qui en ont besoin
- Une place garantie pour chaque enfant dans les crèches et les écoles maternelles gratuites de l’État