Traduction de cet article de Sarah Moayeri, du Sozialistische LinksPartei (SLP) (ASI en Autriche) et de Nicht mit mir (ROSA en Autriche).
La lutte contre l’oppression des femmes a toujours fait une avec la lutte pour une transformation socialiste de la société. Le sexisme et l’oppression des femmes touche tous les aspects de nos vies et s’exprime de différentes manières : l’inégalité salariale, des conditions de travail précaires dans des professions « dominées par les femmes », la double charge massive de l’éducation non rémunérée des enfants, le travail domestique et la prise en charge d’une famille, le sexisme au travail, au sein de la famille et du couple, les représentations sexistes dans les médias et l’éducation, la discrimination, les agressions violentes et sexistes: tout ça fait partie du quotidien des femmes dans une société capitaliste.
Malgré quelques victoires durant les dernières décennies pour l’égalité (légale) des femmes, le sexisme et l’oppression sont encore omniprésents. La crise Corona a mené à une augmentation internationale, et fort considérable dans certains pays, des féminicides (meurtres des femmes à cause de leur genre) et autres violences faites aux femmes. Comme dans toutes les crises économiques, les femmes sont celles qui souffrent le plus du chômage, de la pauvreté, du manque de perspectives et des politiques d’austérité. L’accès à l’avortement et autres soins médicaux est de plus en plus restreint. De plus, la pandémie isole et crée une situation dans laquelle de nombreuses femmes se sont trouvées encore plus enfermées qu’auparavant dans une structure familiale traditionnelle : enfermées entre les quatre murs de leurs propre maison et par conséquent, exposées à la violence de leurs conjoint ou autres membres de leur famille (et ce, sans protection). Le Corona a dévoilé d’une manière particulièrement déprimante à quel point le capitalisme dépend du modèle familial bourgeois et des rôles de genre conservateurs, en particulier en période de crise. Avec toutes les conséquences négatives que cela implique.
Néanmoins, cette augmentation des violences faites aux femmes arrive à un moment où grâce au mouvements de femmes des dernières années à travers le monde, un changement de conscience a eu lieu. Une radicalisation est en place, particulièrement chez les plus jeunes, basé sur leur propre vécu de la discrimination, du sexisme et particulièrement, des violences basées sur le genre. Beaucoup de femmes ne supportent plus les rôles traditionnels qu’on leur impose, le sexisme et la violence. En somme : une tolérance zéro des comportements sexistes.
Sexisme dans leurs propres rangs
Le sexisme au sein des mouvements féministes et de gauche, parmi ses organisations et le mouvement ouvrier, est aussi de plus en plus rejeté et dénoncé plus fortement que jamais. C’est un développement très important pour le succès de l’émancipation des femmes et montre une politisation substantielle contre leur oppression spécifique. Dans un même temps, les luttes et mouvements féministes récents, de #metoo à la lutte pour le droit à l’avortement, montrent qu’un programme politique correct, de la clarté, une direction et une stratégie sont nécessaires pour la régression permanente du sexisme. Souvent, seules les stratégies individualistes sont mises en avant contre ces problèmes sociétaux.
Les réponses socialistes à l’oppression des femmes, ainsi que le programme et les propositions pour la lutte, doivent se baser sur une analyse marxiste de la fonction et effets du sexisme et de la violence envers les femmes dans une société capitaliste. La lutte pour en finir avec l’oppression des femmes ne peut pas être vaincue sans une perspective pour le renversement fondamental du capitalisme en faveur d’une démarcation socialiste. Le changement ne peut être atteint qu’en s’attaquant à la racine du problème. De la même manière, chaque socialiste doit faire un réel effort pour comprendre, en profondeur, la double oppression des femmes (être femme et travailleuse) et ses manifestations diverses, pour lutter contre les comportements sexistes dans leurs propres rangs et au sein du mouvement ouvrier dans son intégralité, revendiquer et guider la lutte vers des améliorations concrètes.
Causes de l’oppression des femmes et du sexisme
Il existe une grande quantité de littérature marxiste sur les causes de l’émergence de l’oppression des femmes dans la société. Tout ne peut pas être expliqué dans cet article. L’analyse révolutionnaire de Friedrich Engels, Clara Zetkin, Alexandra Kollontai et d’autres sortent du lot car ils décrivent et analysent la confection dialectale entre le développement des classes sociales et l’oppression des femmes.
Dans son travail « L’Origine de la Famille, la Propriété privée et L’Etat », Engels montre en quoi l’émergence de la propriété privée, et donc les classes sociales, a formé la fonction de la famille « traditionnelle » : « La gérance du foyer a perdu aspect public. Elle ne concerne plus la société. C’est devenu un service privé; la femme est devenue la première servante, rejetée de la participation dans la production sociale ». Engels supposait que durant cette période de surplus de production initial, dû à la division par genre du travail qui existait déjà en partie, s’est accumulée dans les mains des hommes. Afin de garantir que cette propriété soit héritée par leurs enfants, il était nécessaire de sécuriser la fidélité de leurs femmes. Ainsi, dans un long procès indirect, la structure de la famille monogame vit le jour pour la première fois, transportant en elle les premières formes d’oppression des femmes.
Les sociétés futures et, en fin de compte, le capitalisme bénéficient de cette structure pré-capitaliste injuste envers les femmes, et par conséquent la division de la classe ouvrière en les hommes et les femmes, et le capitalisme opère toujours de cette même manière de nos jours. Quoi que le foyer familial en tant qu’unité de base de la production ait été détruit par un système de production capitaliste, la famille reste, comme la volonté de produire et discipliner la nouvelle classe prolétaire en tant que force ouvrière. Clara Zetkin écrivait : « La femme prolétaire a gagné son indépendance économique ; mais ni en tant que personne, ni en tant que femme, ni en tant qu’épouse, elle n’a la possibilité de vivre pleinement son individualité. Pour son travail en tant qu’épouse, mère, elle ne reçoit que les miettes que la production capitaliste laisse tomber de la table. »
Quoi qu’il soit évident que beaucoup ait changé durant le dernier centenaire au niveau de la famille « traditionnelle » et dans le rôle de la femme en société, les structures de base et la base économique pour l’inégalité des femmes sous le capitalisme sont restées les mêmes. Même si l’idéologie bourgeoise concernant la position de la femme dans la société a changé et a évolué depuis le 19ème et le 20ème siècles, et le mouvement des femmes ouvrières a été capable de se battre pour que des changements aient lieu, les valeurs et les rôles des genres au sein du système capitaliste (basé sur le pouvoir, l’exploitation et la distribution inégale des biens) sont toujours basés sur l’idée de la supériorité masculine.
Les économies de la classe dominante en matière de travail ménager, d’éducation et de soins apportés aux enfants sont massives. Oxfam a publié une étude début 2020, qui disait que les femmes et filles du monde entier consacrent 12 millions d’heures par jour à garder leurs proches, à élever des enfants et à s’occuper des tâches ménagères. Si ce travail était payé avec le salaire minimum de chaque pays, ça correspondrait à la somme de 11 trillions de dollars par an. Il est évident que le système capitaliste est stabilisé par cette exploitation additionnelle.
Passer ces tâches des femmes à la sphère privée mène d’un côté à plusieurs fardeaux et, en même temps solidifie les dépendances et l’image idéologique de la femme qui est subordonnée à l’homme (et maître de la maison). Elle est montrée comme une personne plus douce, et bien intentionnée qui, pour des raisons biologiques, est responsable de tous les travaux dans le domaine des soins et est « tout simplement mieux équipée » pour les faire. La différence salariale, les conditions de travail précaires et le fait que le travail des femmes soit peu payé approfondit la division entre les hommes et les femmes de la classe ouvrière. Dans le monde entier, les femmes servent encore de main d’œuvre moins rémunérée. Ceci est une base sociale fondamentale sur laquelle le sexisme et la violence faites aux femmes ont grandi. Si les femmes ont une position inégale en société, elles sont aussi traitées de manière inégale et inférieure, discriminées et opprimées.
De plus, les idéologies sexistes et misogynes se sont répandues et développées à travers les siècles, les ancrant ainsi dans la société bourgeoise, dans notre façon de pensée et par conséquent dans la classe ouvrière. Les changements et progrès dans les consciences, en particulier des femmes, n’ont pas fondamentalement changé cela, étant donné que les structures sociales restent les mêmes.
Les comportements sexistes sont donc une forme de discrimination basée sur l’inégalité structurelle de la femme sous le capitalisme. Les différentes formes de sexisme tels que les slogans péjoratifs, les préjugés, les rôles de genre inversés, etc., existent à cause des conditions sociales qui traitent les femmes différemment des hommes. Comprendre ses racines matérielles est aussi la base d’un programme de transition efficace pour combattre le sexisme.
Les violences faites aux femmes dans une société capitaliste
L’oppression systémique de la femme décrite ci-dessus trouve son expression la plus dramatique dans le marketing, l’objectivation, le contrôle du corps de la femme et la violence systémique qui en résulte, et même les féminicides. Une femme sur trois dans le monde sera victime de violence physique et/ou violence sexualisée au moins une fois dans sa vie. En Australie, 16 femmes ont été assassinées durant la première moitié de l’année 2020. Cette misogynie systémique, est basée sur le fait que l’homme est encore considéré « plus fort », « plus intelligent » et le « meilleur » sexe, tandis que les femmes sont « inférieures » et « soumises ».
La violence envers les femmes sert aussi à maintenir les femmes dans la passivité et à les intimider. Le signal envoyé à toutes les femmes est : ton corps ne t’appartient pas, on peut faire ce qu’on veux avec toi. L’accès restreint à l’avortement et sa criminalisation est aussi une forme de contrôle sur le corps des femmes, sa sexualité et sa reproduction.
Le système capitaliste et l’Etat bourgeois reproduisent cette violence de diverses façons à travers ce que l’on appelle « la culture du viol » : l’acceptation culturelle du viol et de la violence faite aux femmes, à travers les médias, la musique, les films, etc., jusqu’au système judiciaire, qui est permis par les structures patriarcales.
Il n’est donc pas surprennent que le nouveau mouvement des femmes prenne une approche offensive contre la violence faite aux femmes et qu’elle se trouve souvent être leur point principal. Le danger immédiat auquel les femmes sont exposées à la maison, dans leurs relations, au travail et dans la rue, a bien évidement un impact sur la vie de tout les jours en tant que femme. L’endroit le plus dangereux pour les femmes reste leur propre maison.
En plus de tout cela, la violence envers les femmes a des facettes plus vastes, plus subtiles, qui affectent leurs relations professionnelles et les conséquences du sexisme sur ses relations. Les violences psychologiques y jouent un rôle majeur dans la dévalorisation et intimidation de la femme, en particulier dans leurs relations interpersonnelles. La menace qui en résulte, la peur et la dépendance peuvent avoir des conséquences dévastatrices. La dominance masculine est souvent accompagnée par une manipulation psychologique, une dévalorisation systématique et une pression émotionnelle.
Le produit du capitalisme
La violence faite aux femmes est le fruit de la société capitaliste, en laquelle la population, en particulier les hommes, est conditionnée dans toutes les sphères de sa socialisation à voir les femmes comme étant inférieures ou des objets. La marginalisation et l’objectivation des femmes et de leurs corps n’est que profit pour le capitalisme. C’est ce qui est fait à travers de nombreux outils, tels que les publicités sexistes, la grande variété des produits pour « améliorer » le corps des femmes, ou la multi-billionaire industrie du sexe.
L’objectivation des personnes en tant que commodités affecte tout le monde au sein de la classe ouvrière, mais la manière dont les femmes sont affectées est particulièrement extrême et dominante. La dégradation du corps des femmes au stade de commodité justifie la violence qu’elles subissent dans cette société. La violence systémique sert aussi à stabiliser les relations de domination.
Lorsque l’on parle de violence sexuelle, il ne s’agit en réalité pas de sexe mais de montrer et d’exercer du pouvoir. Durant toutes les guerres et contre-révolutions, le viol et la violence faite aux femmes sont des outils pour détruire des mouvements ; on les utilise pour démoraliser et rabattre la montée révolutionnaire de la classe ouvrière, en particulier les femmes ouvrières, qui sont fréquemment au premier plan des luttes. L’année dernière, les milices soudanaises commandées par le conseil de transition ont utilisé la violence sexuelle comme stratégie de contre-révolution contre la révolution soudanaise, dans laquelle les femmes ont joue un rôle important ; en Egypte et d’autres pays, c’était un des moyens les plus importants pour combattre “le printemps arabe”.
Le viol a toujours été banalisé avec l’argument qu’il est la conséquence des « pulsions » masculines et donc la sexualité masculine la plus « naturelle ». Cependant, c’est en réalité la conséquence de l’image sociale des femmes et de l’idéologie de pouvoir exercé sur les femmes, leurs corps et leurs vies. Le système capitaliste sépare les personnes de leur sexualité, des autres et d’eux-mêmes. Sur cette base, le principe de consentement, et d’entendement peut difficilement être réalisable en son entièreté absolue.
Même si les relations sexuelles et amoureuses totalement libres et fondées sur l’égalité ne peuvent vraiment se réaliser que dans une société socialiste totalement libérée, le principe du consentement existe déjà et constitue la base selon laquelle les hommes doivent orienter leur comportement envers les femmes. Grâce aux débats féministes sur « non c’est non » et « oui c’est oui », il existe aujourd’hui une meilleure compréhension de ce qu’est le consentement sexuel. C’est aussi grâce à ces débats qu’il existe des stratégies pour enseigner le consentement.
Alors que la grande majorité de l’harcèlement et agressions sexuelles ont lieu en toute conscience, il existe d’autres situations dans nos relations sexuelles qui doivent être remises en question. Une approche consciente des limites de partenaires et autres, sensibilité et communication, qui sont toutes ignorées dans une société capitaliste. D’autre part de nombreux cas où les limites individuelles sont franchies sont vus comme quelque chose de « masculin » et donc positif.
Engagez-vous consciemment dans la lutte pour mettre fin à la violence contre les femmes !
Le contrôle social sur les femmes et leur corps s’exprime donc dans la sphère « privée », mais tout aussi publiquement et structurellement. La sphère privée est politique, précisément parce que la violence et le sexisme spécifiques au sexe se produisent au sein des partenariats, des mariages et des familles. Parler publiquement de la violence envers les femmes et du viol peut causer une énergie incroyable car cela représente toujours la rupture d’un tabou dans la société bourgeoise. Ce sont encore principalement les femmes qui sont touchées et non les auteurs qui sont stigmatisés.
C’est pourquoi le débat public sur la violence contre les femmes – par des manifestations, des campagnes, des protestations, etc. – est si important ; c’est un moyen politique essentiel pour contrecarrer cette stigmatisation. Si les femmes ne peuvent pas, à titre individuel, faire face seules à la machinerie sexiste, les luttes collectives peuvent contribuer (ce qui a été le cas dans le passé) à briser les tabous en dénonçant ouvertement le viol et la violence, et à normaliser une ambiance croissante de « tolérance zéro ».
En Espagne, les mouvements de masse de ces dernières années lors de la scandaleuse affaire du « Wolfpack » n’ont pas seulement forcé l’État et le pouvoir judiciaire à modifier la peine prononcée contre les cinq auteurs d’abus sexuel en viol, ils ont également entraîné un changement profond de la conscience. C’est ainsi que parmi la population espagnole 65% des femmes de moins de 30 ans se qualifient maintenant de féministes, soit deux fois plus qu’il y a cinq ans. Cet élément de masse collectif, la lutte commune sans distinction de sexe, est d’une importance capitale lorsqu’il s’agit de savoir comment lutter avec succès contre le sexisme.
Une lutte efficace contre la violence à l’égard des femmes ne doit pas se limiter à exiger des sanctions ou des peines plus sévères contre les auteurs ou à appeler à une réflexion individuelle sur son propre comportement, mais doit aller beaucoup plus loin. Des mouvements comme #IBelieveHer, qui a débuté avec la manifestation de 2018 contre l’acquittement de joueurs de rugby en Irlande du Nord dans une affaire de viol, ont apporté des contributions importantes en remettant en question et dénonçant les structures sexistes du système judiciaire. Mais il s’agit de transformer l’indignation suscitée par des cas individuels en une lutte générale pour un changement fondamental.
Les structures sexistes décrites ci-dessus parlent d’elles-mêmes et montrent que sans bouleversements fondamentaux, le comportement individuel ne peut être modifié à long terme. Cela signifie que les luttes politiques contre la culture du viol, contre la publicité sexiste, pour l’éducation sexuelle dans les écoles, pour la punition des sexistes et des violeurs, etc. doivent aller de pair avec le rejet de l’État bourgeois et donc du système judiciaire au pouvoir.
Les améliorations sociales telles que la multiplication des refuges pour les femmes victimes de violences, et autres foyers de protection, un logement abordable pour tous, des services de garde d’enfants gratuits et complets, un salaire égal pour un travail égal, des salaires plus élevés, le financement intégral des soins de santé et de l’aide sociale, etc. sont essentielles dans la lutte pour mettre fin à la violence envers les femmes: d’une part, pour créer des possibilités d’échapper à des situations de violence; d’autre part, pour mettre fin aux difficultés économiques qui sont un facteur multiplicateur de la violence à l’égard des femmes. En même temps, la lutte commune pour des améliorations sociales et autres objectifs contribue à réduire les préjugés et nous aide à prendre conscience de notre force individuelle et collective. La violence contre les femmes est donc aussi une question de classe : si toutes les femmes de la société sont touchées d’une manière ou d’une autre par la violence, quels que soient leurs revenus et leur statut social, les femmes de la classe ouvrière et les pauvres ont moins de possibilités d’y échapper.
Étant donné que la lutte contre le sexisme et l’oppression fait partie du mouvement de la classe ouvrière en général, il est absolument nécessaire que les syndicats, en tant que grandes organisations de représentation de la classe ouvrière (dans de nombreux pays, nous constatons une tendance à l’augmentation de l’adhésion des femmes aux syndicats), organisent des campagnes politiques spécifiques pour mettre fin au sexisme et à la violence contre les femmes, ainsi que pour prendre des mesures décisives contre les comportements sexistes dans leurs propres rangs.
Réponses incorrectes, incomplètes et manquantes de la politique identitaire
De nombreuses approches plus récentes de différents mouvements féministes montrent, malgré leurs différences, des faiblesses et des défauts similaires. Nombre de ces idées peuvent être résumées sous le terme de politique d’identité (d’autres sont simplement des idées féministes bourgeoises classiques). Même s’il existe des orientations et des théories très différentes en matière de politique identitaire et qu’il serait erroné de tout mettre dans le même panier, certains concepts, analyses et méthodes sont partagées parmi les nouvelles formes de pratiques féministes au sein des mouvements politiques féministes.
Pour de nombreuses jeunes femmes et jeunes LGBTQI+, les idées de politique identitaire font partie de leurs premiers pas dans la radicalisation politique contre l’oppression. Les marxistes doivent en tenir compte et s’engager fortement dans des discussions sur le programme et les méthodes de lutte appropriés pour surmonter le racisme, le sexisme et d’autres formes d’oppression. Certes, les idées de politique identitaire peuvent être attractives, dans, par exemple, l’approche qui consiste à développer une pratique politique principalement basée sur sa propre expérience de la discrimination/identité : évidemment, la prise de conscience de sa propre oppression est souvent la première étape pour devenir politiquement actif et vouloir lutter pour le changement. Bien entendu, il est important de rendre visibles les différentes expériences de discrimination, par exemple celles fondées sur le sexe. Mais la question cruciale est la suivante : quelle est la voie à suivre ? Quelle méthode de lutte peut être réellement efficace pour combattre une oppression spécifique, telle que celle des femmes ?
De nombreux concepts de politique identitaire ne diffèrent pas beaucoup, dans leurs conclusions concrètes, des idées féministes « classiques » (petites-bourgeoises). Les formes les plus adaptées au capitalisme se contentent d’appeler à une plus forte représentation des femmes dans la politique et l’économie ; d’autres adoptent une position généralement anticapitaliste sans théorie ni pratique développées. En tout cas, si l’idée est répandue que les différentes formes d’oppression (racisme, sexisme, etc.) s’influencent et se renforcent mutuellement, elles sont souvent présentées comme existant plus ou moins « côte à côte ». L’exploitation capitaliste n’est analysée que comme une forme d’oppression parmi d’autres au lieu d’en être la base économique et sociale fondamentale, alors les luttes féministes ne sont pas nécessairement comprises comme des luttes anticapitalistes, et les femmes de la classe dirigeante sont plus susceptibles d’être considérées comme des alliées des femmes de la classe ouvrière, plutôt que des hommes de leur propre classe.
La faiblesse de l’approche de nombreuses formes de politiques identitaires réside avant tout dans leur incapacité à offrir des solutions efficaces pour mettre fin à l’oppression et au sexisme des femmes, précisément parce qu’elles s’arrêtent à l’analyse et aux solutions au niveau individuel.
Par exemple, nous savons que le langage reflète la société telle qu’elle existe et qu’il est utilisé pour discriminer et reproduire le racisme, le sexisme, la transphobie, etc. Cependant, des questions comme les styles d’écriture particuliers ou la manière dont les gens sont représentés dans les médias ne sont pas les plus grandes préoccupations des femmes, des personnes LGBTQI+ ou des immigrants. C’est là le problème fondamental : la lutte contre l’oppression et la discrimination spécifique est privée de son fondement matériel. Il est souvent suggéré qu’on puisse en finir avec le sexisme, simplement par la reconnaissance de l’existence des minorités. Cela est loin de mettre fin à l’oppression des femmes : au mieux, cela crée l’illusion de l’égalité, dont le système bourgeois peut à son tour profiter en commercialisant cette forme de « féminisme ». Il reste bloqué sur le plan idéaliste et ignore la base matérialiste, ainsi que le changement dialectique et la contradiction des processus.
Ces réponses inadéquates à l’oppression sexiste sont symptomatiques des approches féministes qui cherchent des solutions individuelles à des problèmes sociaux majeurs – tels que l’oppression des femmes. L’objectif des politiques identitaires est souvent de réfléchir, de remettre en question et de changer son propre comportement, de créer des « espaces sécurisés » et de rendre symboliquement visible la discrimination. Des arguments individualistes similaires peuvent être trouvés, par exemple, dans le vieux débat sur la rémunération du travail ménager et à l’appel à une répartition équitable du ménage, de l’éducation des enfants, etc. entre les sexes – au lieu de lutter pour une socialisation complète des travaux ménagers, de l’éducation des enfants et des soins. Des concepts tels que la « grève des femmes au foyer », qui sont souvent discutés dans le mouvement féministe, expriment exactement cela.
L’idée que les expériences individuelles – et dans certains cas massivement différentes – de discrimination sont la seule base sur laquelle une action politique devrait être menée, outre les propositions de solutions inadéquates, comporte le danger de minimiser les similitudes et de mettre principalement l’accent sur les différences. Les marxistes ont l’objectif inverse : par exemple, une femme migrante ouvrière a naturellement d’autres réalités de vie et doit lutter contre des formes de discrimination que les autres travailleurs ne connaissent pas. Mais nous devons nous demander : quelle est la conclusion à en tirer ? Comment pouvons-nous nous battre pour des améliorations pour tous ?
Les divisions produites par le capitalisme, qu’elles soient liées à la couleur de la peau, à la religion ou au sexe, ne peuvent être surmontées que par des luttes collectives de la classe ouvrière (à la fois politique et économique). Cela ne signifie pas qu’il faille considérer le sexisme comme une « contradiction secondaire » ou que les luttes économiques « classiques » doivent être considérées comme la seule panacée contre le sexisme et le racisme. Au contraire, il s’agit simplement de reconnaître que même les luttes spécifiques aux femmes ne peuvent être gagnées qu’en solidarité avec les hommes. Un bon exemple en est la lutte pour le droit à l’avortement par le référendum en Irlande en 2018 : les parties avancées du mouvement savaient très bien que le référendum ne pouvait être gagné que par un effort collectif, et par des hommes votant également pour l’abolition de l’interdiction de l’avortement. Les tentatives des mouvements féministes d’utiliser les méthodes de lutte de la classe ouvrière – telles que la grève – pour faire appliquer les revendications féministes, contre le harcèlement sexuel au travail, etc.
Toute analyse et méthode politique qui n’adopte pas un point de vue de classe, qui ne conclut pas que les similitudes entre les travailleurs sont plus grandes que leurs différences et que la classe ouvrière est la seule force qui peut lutter pour un changement social fondamental à travers des mouvements de masse, finit, d’une manière ou d’une autre, par faire des changements de comportement individuel son principal champ de lutte. Il est bon que les hommes remettent en question et modifient leur propre comportement sexiste, mais cela ne change pas les structures sociales fondamentales. En fin de compte, la question est : qui est le véritable ennemi ?
Alors que certaines parties de la “ainsi appelée” deuxième vague du mouvement des femmes, se sont limitées à considérer les hommes comme l’ennemi principal, les nouvelles approches de la politique identitaire n’ont souvent pas une analyse aussi fausse de l’ennemi politique et de qui ou quoi doit être combattu. Mais en raison de la forte individualisation de la théorie et de la pratique, les « grandes » dimensions sociales sont perdues de vue. Nous voyons ici l’application du postmodernisme au mouvement des femmes. La classe dirigeante et ses politiciens, qui sont responsables des griefs sociaux, économiques et politiques et donc aussi des structures sexistes d’oppression, de la politique misogyne et sexiste, ne doivent plus se sentir vraiment menacés lorsque les luttes féministes se limitent à simplement rendre « visible » la discrimination ou à appeler les individus à réfléchir sur « leurs propres privilèges ».
Pas de socialisme sans libération des femmes, pas de libération des femmes sans socialisme
La marxiste Alexandra Kollontai a écrit en 1920, après la révolution d’octobre en Russie, sur les changements dans la famille et entre les sexes provoqués par les bouleversements des relations sociales :
« Il n’y a aucune raison de nous cacher la vérité : la famille normale des premiers temps, dans laquelle l’homme était tout et la femme n’était rien – car elle n’avait ni sa propre volonté, ni son propre argent, ni son propre temps – cette famille se transforme de jour en jour ; elle appartient presque au passé. Mais nous ne devons pas avoir peur de cette situation. Que ce soit par erreur ou par ignorance, nous sommes plutôt disposés à croire que nous pouvons rester inchangés, alors que tout autour de nous change. Il n’y a rien de plus faux que ce proverbe ! Il suffit de lire comment les gens vivaient dans le passé, et nous apprendrons immédiatement que tout est susceptible au changement et qu’il n’y a pas de coutumes, d’organisations politiques et de morale qui restent immuables et intouchables ».
Il n’y a pas de différences insurmontables entre les sexes. La classe ouvrière est capable de surmonter les divisions selon le sexe, la couleur de la peau, la religion, etc., et de construire une société socialiste dans laquelle ce n’est pas le profit de la classe dominante qui est le pivot des relations humaines et des structures sociales, mais les besoins et les capacités de tous.
Les mouvements de masse de 2019 dans presque toutes les régions du monde, dont certains se poursuivent encore aujourd’hui, étaient largement marqués par un caractère jeune et prolétarien, les femmes étant au premier plan. Les femmes sont souvent les combattantes les plus déterminées dans les mouvements révolutionnaires en raison de leur oppression spécifique. La lutte contre le sexisme et l’oppression des femmes est donc plus étroitement liée que jamais à la construction d’un puissant mouvement ouvrier capable d’abolir le système capitaliste pourri avec toutes ses structures et idéologies incrustées, et ainsi de surmonter enfin les bases de l’oppression des femmes.