Fin décembre, 300 femmes hollywoodiennes ont lancé Time’s Up, une campagne contre le harcèlement sexuel. La campagne a déjà permis d’amasser 13 millions de dollars (The Guardian, 2/01/18), pour apporter un soutien juridique aux victimes de harcèlement sexuel dans les relations de travail. Outre le fond de défense, une lettre ouverte a été signée par plus de 1.000 femmes issues du cinéma, de la télévision et du théâtre où elles proposent d’être des porte-voix de cette lutte.
Time’s up : syndiquons-nous !
Après une référence à l’affaire Weintein, elles écrivent: « Durant l’une de nos périodes les plus difficiles et les plus vulnérables, l’Allianza Nacional de Campesinas (l’Alliance Nationale des Travailleurs Agricoles) nous a envoyé un message de solidarité fort pour lequel nous sommes très reconnaissantes. (…) Nous reconnaissons le poids de notre expérience toutes ensembles, l’expérience d’être traitées comme des proies, harcelées et opprimées par ceux qui abusent de leur pouvoir et menacent notre sécurité physique et économique. (…) Nous partageons vos sentiments de colère et de honte.
Nous reconnaissons également notre privilège et le fait que nous ayons accès à de puissantes plateformes pour renforcer notre voix. Ces deux facteurs ont attiré et stimulé une grande attention à l’existence de ce problème dans notre industrie, ce qui n’a pas été possible pour les travailleuses agricoles et un nombre incalculable de personnes employées dans d’autres industries. À toutes les femmes qui sont confrontées au harcèlement et à l’intimidation sexuelle, aux femmes de tous les secteurs d’activité qui subissent des comportements offensants, et qui doivent les supporter pour subvenir à leurs propres besoins: nous sommes à vos côtés. Nous vous soutenons.
Aujourd’hui, contrairement à ce que nous n’avions jamais fait auparavant, notre accès aux médias et aux dirigeants a le potentiel de produire une véritable responsabilité et des conséquences. Nous voulons que toutes les survivantes du harcèlement sexuel soient entendues partout, qu’elles soient convaincues et conscientes qu’il est possible que les auteurs de ces actes soient tenus pour responsables.
Nous voulons que toutes les victimes et toutes les survivantes aient accès à la justice et au soutien pour les souffrances qu’elles ont endurées. Par-dessus tout, nous voulons faire entendre la voix, le pouvoir et la force des femmes travaillant dans les secteurs à bas salaires, pour qui le manque de stabilité financière rend vulnérables à des niveaux élevés de violence et d’exploitation basées sur leur sexe. »
Outre le fond de défense et la lettre ouverte, l’initiative comprend également des propositions de législation visant à pénaliser les entreprises concernées par des affaires de harcèlement et à décourager l’utilisation d’accords de confidentialité qui réduisent les victimes au silence et une campagne visant à réaliser la parité entre les sexes dans les studios et les agences.
Bien sûr, il faut se réjouir que les femmes riches soient prêtes à utiliser leurs ressources pour protéger et défendre les femmes qui n’ont pas les moyens de se défendre. Cependant, nous devons nous demander si c’est la voie à suivre et si les idées, le programme et la campagne proposées par Time’s Up peuvent créer une voie de sortie. Sans remettre nécessairement en cause les bonnes intentions des initiatrices, je suis convaincue que la réponse est non.
Si l’on se contente d’examiner la lettre et les solutions proposées, on se concentre entièrement sur la question de l’accès à la justice, d’une part, et sur le fait qu’un plus grand nombre de femmes occupent des postes de direction. Si nous voyons toutefois des réactions positives dans les médias américains, avec l’idée qu’aucun retour n’est possible après #MeToo et que le progrès est inévitable, il existe tout de même une grande naïveté.
Une lutte féministe et anticapitalisme est nécessaire
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que les idées d’émancipation des femmes bénéficient d’un large soutien. Un élan progressiste a pris place à plusieurs reprises par le mouvement des femmes, toujours en conjonction avec le mouvement syndical, le mouvement LGBTQI+, les mouvements de libération nationale et le mouvement des droits civiques, etc. – toujours en conjonction avec une protestation plus large et plus générale contre la société capitaliste et ses nombreuses formes d’oppression, d’exploitation et de discrimination.
Plusieurs victoires ont été remportées et de nouvelles réalisations vont l’être également. Mais parce que les fondements du capitalisme, les relations socio-économiques de classe, continuaient et continuent d’exister, ces acquis étaient toujours partiels et temporaires. Dès que le mouvement s’est calmé et que l’équilibre des pouvoirs s’est réorienté en faveur des patrons et de leurs gouvernements, des failles ont été trouvées pour les lois et les règlements ; et ces nouveaux droits ont été réduits jusqu’ à ce qu’il n’en reste plus qu’une coquille vide. Nous nous battons toujours aujourd’hui essentiellement pour la même chose que nos mères et nos grands-mères: le droit au salaire et à la sécurité du salaire qui nous permet de ne pas dépendre d’un homme et le droit de décider par nous-mêmes de ce que nous faisons de notre vie !
Il n’y a pas de raison d’être pessimiste, mais il faut comprendre que le changement fondamental exigera une lutte sérieuse pour renverser le système dans son ensemble, parce que le capitalisme crée de nouvelles contradictions et formes d’oppression chaque jour et partout. Mais aussi les progrès que nous pouvons réaliser dans le cadre du capitalisme exigeront plus qu’une approche axée sur la défense juridique et la parité des sexes dans les positions de leadership.
L’accès à la justice ne suffit pas – les travailleuses doivent s’organiser dans le syndicat pour obtenir une véritable protection !
Bien sûr, il est bon que les femmes à faible revenu puissent demander une aide financière pour avoir accès à la justice. Mais certainement, en ce qui concerne le harcèlement sur les lieux de travail, l’abus de pouvoir par les supérieurs hiérarchiques ou, par exemple, dans l’hôtellerie et la restauration ou dans le secteur des chèques-services par les clients, l’accès à la justice ne suffira pas pour obtenir davantage de plaintes. Après tout, l’accès à la justice ne vous rendra pas votre emploi.
Une enquête de l’ACV (CSC), publiée le 20 juin 2017 et menée auprès de 51 000 femmes de ménage et aides familiales, montre qu’un tiers d’entre elles ont déjà été victimes de violences sexuelles au travail. Dans 60% des cas, il s’agissait de violences verbales: remarques sur l’apparence, avances, propositions répétées, etc. Mais pas moins de 37% concernaient le harcèlement physique tel que les contacts non désirés.
Ce qu’il faut pour obtenir des résultats à court terme et mettre les femmes en position de pouvoir se plaindre et mettre fin au harcèlement sans être licenciées, ce sont des campagnes visant à impliquer les femmes dans les syndicats.
Chaque jour, les femmes de ménage du monde entier vivent l’intimité non désirée des clients. Selon de nombreux conseils d’administration, accepter une grande partie de ces abus fait partie du travail. Une femme de chambre qui porterait plainte contre un client régulier trouvera la direction plus souvent du côté de celui-ci que chez elle.
Ainsi, Nafissatou Diallo, qui en mai 2011 a porté plainte pour viol contre Dominique Strauss-Kahn (enterrant sa candidature pour la présidentielle), a certainement été une femme très forte qui s’est battue pour ses droits. Mais sans le soutien de ses collègues et surtout sans son organisation syndicale, elle aurait sans doute fait comme la grande majorité des travailleuses agressées : subir et essayer d’oublier le plus tôt possible parce qu’en fin de compte, le loyer doit être payé.
La campagne ROSA appelle les femmes en situation précaire et dans des emplois mal rémunérés à se syndiquer et à lutter avec le syndicat pour obtenir des contrats et des salaires décents pour tous. Nous appelons également les femmes et les militants de gauche au sein du syndicat à prêter attention à ces nouveaux secteurs, qui touchent principalement les femmes, les jeunes et les migrants, mais qui portent atteinte aux droits et conditions de tous les travailleurs. Les militants de gauche doivent également veiller à ce que les syndicats fassent des efforts pour accroître le niveau d’organisation dans ces secteurs.
Pour une lutte collective
Ces dernières années, les actions et les victoires du personnel de Wal-Mart aux États-Unis ou de McDonald’s en Grande-Bretagne ont montré que la lutte collective pour l’amélioration des conditions de travail et des salaires est payante. La lutte pour de meilleurs contrats, pour la sécurité de l’emploi, n’est pas une question juridique qui peut être facilitée par un fonds de solidarité, mais une question d’organisation du personnel dans les secteurs ayant de mauvais contrats. Les syndicats n’y parviennent pas toujours, mais à condition que des méthodes et des programmes de revendications corrects soient mis en place, ce sont les seules organisations capables de réussir dans ce domaine.
La parité n’est pas une garantie de mettre fin au harcèlement sexuel
Les hommes sont les auteurs de harcèlement sexuel, mais chaque année, les statistiques sur le harcèlement sexuel et le harcèlement sur le lieu de travail montrent que ceux-ci sont également victimes de harcèlement sexuel et que les femmes peuvent en être les auteurs.
Dans le passé, les politiciennes ont souvent montré qu’elles ne faisaient pas une différence fondamentale. Les femmes des principaux partis, ainsi que leurs collègues députées, ont approuvé les mesures en matière de pensions, d’allocations de chômage, etc. qui ne sont pas favorables aux femmes.
Elles sont en partie responsables du fait qu’une femme au chômage avec un statut de cohabitante n’a droit qu’à une allocation au lieu d’une prestation de chômage réelle, elles sont en partie responsables de la pauvreté actuelle et du future des femmes retraitées, en partie responsables aussi des prix élevés du logement qui rendent presque impossible pour les femmes faiblement rémunérées de quitter une relation insatisfaisante, en partie responsables du manque de services et de la grande flexibilité et pression du travail.
Il n’y a aucune raison, statistique ou étude qui montre que ce serait différent pour les patronnes et les supérieures. Elles pressent elles aussi le maximum de leur main-d’œuvre, s’attendent également à ce que l’emploi passe en premier (et préfèrent donc aussi les hommes occupant des postes de gestion) et maintiennent également l’écart salarial. Et elles aussi ont le harcèlement sexuel dans leur arsenal de moyens pour se faire obéir et craindre. Au fait, Catherine Deneuve ou Catherine Millet, toutes deux signataires de la pétition pour le droit d’être harcelées, ne sont-elles pas toutes deux des femmes ? Cependant, leur sensibilité au harcèlement sexuel et à l’intimidation sexuelle est pratiquement inexistante.
Le harcèlement sexuel à l’égard des femmes s’inscrit dans le contexte d’une situation et d’une position défavorisée des femmes. Là où une minorité de femmes a atteint divers niveaux de pouvoir (grâce aux luttes du passé), pour la majorité des femmes – pour la majorité de la population – ce n’est pas une perspective réaliste. Toutes les femmes ne peuvent pas répéter le scénario d’Oprah Winfrey qui a bénéficié d’opportunités qui n’existent que pour une infime minorité.
L’individualisme face aux problèmes sociaux
Elle détourne l’attention de la lutte collective nécessaire pour forcer « l’amélioration individuelle » pour tous. Tout le monde ne peut pas devenir une star de la télévision, mais nous pouvons lutter pour que tous les travailleurs et travailleuses obtiennent un emploi décent, avec des contrats qui offrent la sécurité et des salaires qui nous permettent de construire une existence digne. Nous pouvons également lutter pour que le chômage soit combattu, et non les chômeurs, et pour l’arrêt des coupes budgétaires dans nos services publics. Ce sont des éléments qui peuvent donner aux grandes strates de femmes le pouvoir et la force de mettre fin au harcèlement sexuel.
Le temps montrera si oui ou non les actrices hollywoodiennes de Time’s Up soutiennent aussi cette bataille. Dans le passé, la transition vers une vaste lutte ouvrière pour l’amélioration du niveau de vie et des conditions de travail était souvent le moment où les organisations de travailleuses perdaient le soutien des féministes bourgeoises. Nous pouvons gagner ce combat sans leur soutien, mais pas sans la lutte unifiée de tous les travailleurs contre notre oppresseur commun.