Interview | Sexisme en milieu nocturne : « Ne pas lâcher le morceau »

Entretien avec deux initiatrices du collectif "A nous la nuit"

Fin 2021, le mouvement #Balance ton bar a largement libéré la parole sur les agressions et les comportements sexistes dans les cafés. Les centaines de témoignages qui ont afflués ont posé la question : « Comment lutter concrètement contre le sexisme et les agressions dans le milieu festif ? » Nous en avons discuté avec deux initiatrices du collectif « À nous la nuit » récemment constitué à Liège.

Propos recueillis par Clément (Liège)

Page Facebook A nous la nuit collectif

Pour commencer, ça a représenté quoi « Balance ton bar » ?

Ce qu’on a vu, c’est une prise de conscience généralisée : il y a un sérieux problème avec le sexisme dans le monde de la nuit. On le savait déjà, mais ça a été rendu beaucoup plus flagrant. C’est d’ailleurs bien plus large. Le racisme, la LGBTQI+phobie et particulièrement la transphobie horrible qui existent dans les milieux de sortie sont des problèmes colossaux auxquels il faut répondre. On a d’ailleurs consciemment décidé de ne pas mettre de terme spécifiquement féministe dans « A nous la nuit » pour cette raison.

Quel est le problème spécifique du sexisme dans les lieux de sortie ?

En Belgique il n’y a pas d’études, mais il en existe ailleurs qui illustrent qu’on y retrouve toute la palette des comportements sexistes : du harcèlement verbal à la violence physique en passant par les agressions et le viol.

Il y a des aspects plus spécifiques, comme la soumission chimique qui fait son retour en force. Est-ce qu’il y a plus de cas maintenant ? Les voit-on simplement plus parce que la parole se libère ? C’est probablement la deuxième option. Par exemple aux urgences, à Liège, c’est un phénomène récurrent et on sait qu’il ne se passe pas une semaine sans qu’ils rencontrent ce genre de cas, depuis très longtemps.

Une autre spécificité, c’est que ça se passe dans des endroits où on sort, où on fait la fête, où on s’alcoolise, etc. La culpabilité chez les victimes de violences sexuelles est déjà un énorme problème, qui est renforcé par la culture du viol (« tu sors le soir, tu t’attendais à quoi ? », « tu portais une jupe »,…) et l’idée qu’en tant que fille, ta sécurité et ce qu’il t’arrive, c’est avant tout ton problème à toi toute seule. Le fait que tu sois dans un lieu de fête, qu’éventuellement tu es alcoolisée, et que tu te fais agresser, ça rajoute une grosse couche de culpabilité. Aller trouver la police ou un organisateur ou simplement demander de l’aide quand tu as un problème mais que tu es dans un état un peu second c’est vraiment, mais vraiment pas évident. Et ça ne devrait pas être comme ça.

Comment répondre à ce problème ?

On part du principe absolu que la responsabilité de créer un environnement où faire la fête sans avoir à craindre pour sa sécurité, cela repose en partie sur le public, mais aussi – et surtout – sur les organisateurs qui choisissent d’ouvrir un lieu au public. Et il y a un retard énorme là-dessus. Par exemple, la plupart des labels qui existent sont de vraies coquilles vides sans aucun suivi derrière.

Impliquer les organisateurs signifie un minimum de sensibilisation et de formation des orga et des crews pour être aptes à réagir correctement. Plein d’outils de base en ligne existent, mais les vraies formations de qualité ont un coût et ce n’est pas toujours facile d’y avoir accès quand on veut. Par exemple, celle qu’on va suivre, on s’y est prises en novembre et il n’y avait de places qu’à la mi-février.

À partir de là notre idée, c’est de pouvoir retourner vers certains lieux clés à Liège, pourvoir y mettre des choses en place, former d’autres personnes et créer une dynamique. Ça ne se fera pas en un jour d’autant que si à certains endroits il y a une ouverture pour ce genre d’initiative, il y en a clairement d’autre où, tant que leur boîte tourne, ils s’en foutent royalement de garantir un environnement un minimum safe. Mais de l’autre côté il y a un besoin criant de ça, d’où l’importance de la dynamique.

L’idée se serait de pouvoir à terme avoir des personnes référentes formées dans un maximum de soirée et qui savent comment réagir
Puis il faut aussi impliquer ton public collectivement. Tu peux faire ça en distribuant des flyers à l’entrée par exemple, et au minimum en ayant des affiches très visibles sur le fait que tel ou tel comportement n’est ni toléré, ni tolérable. Dans ce cadre, mettre au point une charte claire sur laquelle tu t’appuies, ça aide. Bref créer une culture collective « on fait attention » et où, en cas de problème, une victime sait qu’elle peut se tourner vers les orgas, ce qui n’arrive presque jamais aujourd’hui.

Enfin à côté de la prévention, il y a le suivi après une agression. Pouvoir écouter et orienter immédiatement une victime, ça nécessite des moyens humains et matériels (un lieu prévu à cet effet) important. L’idée n’est évidemment pas de se substituer aux professionnels du secteur. Pour la prise en charge, la référence ça reste les CPVS (Centres pour la Prise en Charge des Violences Sexuelles). Ils font un boulot incroyable avec un personnel hyper formé. Après il n’y en a pas partout, on est bien contente qu’il y en ait un à Liège parce que par exemple, à Verviers, il n’y en a pas. Et si t’as besoin d’une prise en charge après un évènement aussi traumatisant, ton premier réflexe ne va pas être de te taper 30 bornes ou plus…

Pour conclure ?

Balance ton bar ça a été une explosion, avec ses forces et ses limites. Mais c’est une fois que l’explosion est passée, quand tu te demandes comment entamer un travail de fond et réellement changer les choses, que tu te rends compte à quel point la tâche est énorme, et qu’il ne faudra pas lâcher le morceau.


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ROSA organise des actions, des événements et des campagnes pour combattre le sexisme et le système qui l’entretient : le capitalisme.