La journée du 8 mars a donné un tournant féministe au Hirak1. Les femmes sont maintenant présentes partout de Hoceima à Casablanca ou encore au niveau de la diaspora marocaine à Bruxelles, Amsterdam, Paris, … Les femmes Amazigh ne lâchent rien !
Les protestations s’enchaînent dans le Rif depuis plus de 8 mois ainsi que dans d’autres régions du Maroc, qui se sont soulevées à leur tours. Le peuple du Rif est déterminé à faire entendre ses revendications : libération des prisonniers politiques, construction d’hôpitaux, d’universités, de centres culturels, de la justice, de la démocratie et de l’emploi pour tous. Cette nouvelle vague de résistance interpelle non seulement par son caractère populaire mais aussi par l’implication massive des femmes annonçant les prémices d’un féminisme émergeant.
Une révolte populaire
Hirak1 du Rif (région du nord du Maroc) s’est propagé au-delà des frontières régionales et réussit à toucher les masses marocaines d’autres régions. C’est actuellement le mouvement le plus populaire et le plus fort dans l’histoire récente des protestations au Maroc. En effet, Hirak est constitué par des citoyens et citoyennes, entré(e)s instinctivement en lutte et qui ont choisi naturellement leurs propres leaders et meneuses parmi ces militants.
Les contestations ont débuté suite à l’assassinat d’un marchand de poissons, Mohsin Fikri, le 28 octobre 2016. Cet homme a été la victime d’un système poussant la majorité de la population dans une précarité extrême et les confrontant à une répression violente. Un mouvement spontané – en réaction à la barbarie du régime marocain – a rapidement pris place pour dénoncer les bavures policières récurrentes.
Au départ, les manifestants – en majorité masculins – exigent avant tout la justice et la condamnation des présumés responsables de l’assassinat de Mohsin Fikri. Le mouvement connait ensuite un développement de conscience politique remarquable et formule aujourd’hui des revendications sociales concrètes : stop à la corruption, demande de justice, de dignité et de démocratie ainsi que l’accès à l’emploi, à l’éducation et aux soins de santé pour tous et toutes. Celles-ci ont permis de toucher et de mettre en action des couches plus larges de la population.
Ce développement des consciences et des revendications est notamment lié au travail militant acharné de figures telles que Naser Zefzafi mais également Nawel Benaissa ou Silya Ziana (les plus connues parmi de nombreuses autres militantes). Ces femmes ont joué un rôle clé dans le mouvement, surtout à la suite des arrestations des leaders masculins. Ces militantes ont directement repris le flambeau en poursuivant la mobilisation des foules.
Hirak a sans aucun doute poussé les femmes à briser les chaînes de la peur, à s’imposer dans l’espace public mais sans les femmes, Hirak n’aurait pas pu connaitre les proportions et la fougue qui l’anime aujourd’hui.
La position des femmes dans la région du Rif
Si la région du Rif est souvent décrite comme la région la plus conservatrice du Maroc2, c’est avant tout la conséquence d’une politique coloniale et monarchiste. La région du Rif a été victime d’une histoire coloniale sordide. Les colons espagnols – dominant la région dès 1912 – se sont uniquement focalisés sur l’exploitation des matières premières et des richesses de la région. Aucun investissement n’est réalisé au niveau de l’enseignement, de l’infrastructure ou dans le développement des activités économiques. Le colonialisme espagnol, très religieux, a également participé au renforcement d’un conservatisme idéologique, laissant des traces qui ont contribué à l’isolement des femmes.
A l’indépendance, la politique de non investissement dans la région de Nord menée par le roi Hassan II, a maintenu les Rifains et Rifaines dans une époque de misère socio-économique et de violence. De plus, la région est militarisée dès 1958. Les femmes sont bien évidement les premières victimes de cette terreur. La barbarie militaire est omniprésente et elles sont ainsi isolées voire exclues de l’espace public. Cette période marque indubitablement la vie sociale des femmes du Rif.
Encore aujourd’hui, la militarisation est toujours présente pour contrôler la région. De plus, la religion est utilisée par le régime marocain comme anesthésiant contre les revendications des masses. Elle est utilisée pour protéger et renforcer la position de l’élite au pouvoir. Cela participe également à l’ostracisme des femmes. Lors des dernières manifestations par exemple, des mosquées – sous les ordres du gouvernement – ont clairement essayé de décourager les manifestant(e)s en les dissuadant de sortir dans la rue par des argumentations religieuses fallacieuses. Mais cela n’a pas réussi à désorienter les manifestants, qui continuent leur lutte et leur mobilisation.
Un régime néo-libéral
Le Maroc, terre possédant de nombreuses richesses, s’inscrit dans une logique capitaliste qui dépossède la population du droit de jouir de ses propres ressources et provoque ainsi une énorme misère. L’économie marocaine est entièrement entre les mains de la holding royal O.N.A (Omnium Nord Africain) ainsi que des multinationales européennes, qui pillent toutes les richesses du pays : les ressources minières, l’agriculture, l’élevage, la pêche, …
Les investissements dans les régions principalement Amazigh (le Rif , le Moyen Atlas, …) sont faibles voire inexistants. Dans la région du Rif, par exemple, il n’y a aucune université, aucun grand centre culturel, … L’accès à l’eau, à l’électricité, aux soins de santé est également très compliqué. Dans certaines régions, c’est même l’accès aux écoles primaires qui est impossible. C’est l’ensemble des structures sociales qu’il faut construire ou développer dans ces régions. Ceci dit, dans les autres régions du Maroc, malgré certaines avancées, la situation n’est pas meilleure. Les nombreux bidonvilles des grandes villes en sont la preuve.
Le taux de chômage en croissance permanente est un des moteurs de la colère et du ras-le bol collectif : « Le chômage évolue à bas bruit pour devenir une bombe à retardement. Fin mars 2017, le taux de chômage passe à 15,7% en milieu urbain. Le nombre de chômeurs approche 1,3 million, le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans dans les villes dépasse 40% et le taux d’activité continue de baisser. »3
La situation socio-économique est désastreuse et touche tous les marocains. Au Rif, comme ailleurs, les femmes sont très fortement touchées : analphabétisme, chômage, non accès à l’éducation, aux soins de santé, … La précarité et le manque d’investissements pour les structures publiques affaiblissent la position de la femme dans la société, la rendant plus vulnérable et dépendante d’un mari, de sa famille, … Cette situation ne permet pas d’avoir des perspectives d’amélioration de leurs conditions de vie. De plus, l’absence de structures sociales fait retomber l’ensemble du poids des tâches domestiques, de soins aux enfants et aux personnes âgées sur le dos des femmes.
La présence des femmes dans Hirak est donc une avancée importante. Cette lutte unit hommes et femmes pour dénoncer l’oppression et le manque de perspectives mais également revendiquer des investissements publics pour le développement de structures sociales. Ces revendications défendent les intérêts de la majorité de la population et sont des bases nécessaires à l’émancipation des femmes (comme partout dans le monde). Les femmes dans Hirak ne se contentent pas d’y participer mais jouent un rôle actif dans son organisation.
La solidarité internationale est une arme
La diaspora Amazigh a soutenu le mouvement dès le début. Plusieurs actions et manifestations ont eu lieu en Europe : Paris, Madrid, Amsterdam, La Haye, Barcelone, Düsseldorf, Liège et d’autres. En Hollande, la diaspora féminine rifaine est très active dans le mouvement de soutien.
La solidarité internationale est nécessaire pour faire entendre à travers le monde la voix de cette lutte. C’est également un outil pour développer partout la lutte contre l’oppression, le racisme, le sexisme qui sont présents dans tous les pays. Face à la répression à laquelle Hirak fait face, les actions et manifestations qui prennent place dans d’autres pays doivent être un soutien et un souffle de solidarité pour les manifestant(e)s du Rif et Maroc.
RIF : R de Résistantes, I de Imbattables, F de Femmes !
Le 8 mars 2017 est un moment décisif et incontournable pour les femmes rifaines. La mère du leader de Hirak (Nasser Zefzafi) publie une vidéo sur les réseaux sociaux annonçant une marche des femmes du Rif pour la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Suite à cela, une série de vidéos de femmes sont à nouveau publiées appelant également à rejoindre cette marche.
Le jour J, des milliers de femmes du Rif, confiantes et déterminées, arpentent les rues de Hoceima. La marche est un véritable succès, qui permet aux femmes de se réunir et d’exprimer à leur tours des revendications spécifiques comme l’accès aux soins de santé, à l’éducation et exigeant des mesures pour assurer une vie décente pour tous et la démilitarisation de la région.
D’autres manifestations et rassemblements de femmes ont suivi comme l’action du 3 juin 2017. Cette manifestation est très fortement réprimée : les militaires utilisent la force et les coups sur les manifestantes et les enfants, volent les GSM et les portefeuilles, … Ces humiliations, violences et ces insultes sont les outils classiques de ce régime autoritaire et sont utilisées aujourd’hui pour essayer de briser le mouvement.
Aujourd’hui, la répression s’accentue. Les militaires usent d’une violence inouïe à chaque rassemblement, giflant les femmes, les insultant et frappant sur tout ce qui bouge. Le harcèlement sexuel fait partie des méthodes utilisées par le régime pour intimider les jeunes filles. Une source fiable témoigne : lors d’une arrestation de quatre jeunes filles, des policiers ont baissé leurs pantalons et menacé de les violer si elles continuaient à manifester.
La place des femmes est dans la lutte
Les descendantes de Dihiya – reine guerrière Amazighe – ont prouvé au monde entier qu’elles ont un rôle important à jouer dans la société et qu’elles lutteront au côté des hommes du Rif ! Leur place n’est pas derrière les fourneaux ou dans les salons comme le laisse croire la propagande sexiste. Leur place est dans les rangs de la lutte contre le régime en place, la répression, l’impérialisme et l’oppression sous toutes ses formes. Leur place est à côté des hommes en lutte revendiquant de l’emploi, des hôpitaux, des écoles, … pour TOUS ET TOUTES.
L’histoire a démontré que les droits et les acquis sociaux ne s’obtiennent que par la lutte, les grèves et le militantisme et que les femmes y jouent souvent un rôle décisif. Les multinationales s’enrichissent grâce à l’exploitation extrême réalisée dans le monde néocolonial, qui plonge des millions de personnes – majoritairement des femmes – dans la pauvreté extrême et la violence. La lutte contre la dictature des multinationales et des régimes qui les défendent fait partie intégrante de la lutte pour l’émancipation des femmes. Nous avons besoin d’en finir avec ce système qui met les profits et les privilèges d’une minorité au-dessus des besoins de la grande majorité de la population. Nous devons en finir avec le système capitaliste et l’impérialisme qui le permet.
ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité) est une campagne qui lutte contre le sexisme, l’oppression et le capitalisme et qui veut construire la solidarité entre les luttes sociales et les luttes pour l’émancipation des femmes à travers le monde. Nous voulons aider à construire en Belgique un mouvement de solidarité avec les femmes en lutte dans le Rif et le Maroc et avec l’ensemble des participants du Hirak.
Action : 8 juillet 2017 Bruxelles 14h30 Gare du Nord – Manifestation de solidarité avec les soulèvements populaires au Maroc
Portraits de figures femmes du HIRAK
Actuellement en détention par le régime, SILYA ZIYANI, artiste engagée est une des figures importantes de Hirak. Cette jeune activiste a su développer une position politique intéressante et une approche féministe audacieuse en invitant toutes les femmes à sortir et à occuper les places publiques comme les hommes. Elle a été très claire quant au caractère de résistance du mouvement : « Nous ne lâcherons rien tant que nos revendications ne seront pas entendues et appliquées. Nos revendications sont légitimes, tant que nos camarades ne seront pas libérés, nous continuerons à résister pacifiquement. Vous pouvez nous matraquer, nous arrêter ! On ne lâche rien ! ».
LA MAMAN DE NACER ZEFZAFI
Fait partie des femmes qui ont soutenu Hirak dès le début. Elle fut celle qui a inspiré de nombreuses femmes à sortir et à exprimer leurs droits sociaux le 8 mars 2017, ce qui a permis le virage vers une féminisation du mouvement.
NAWAL BEN AISSA 36 ans – mère de 4 enfants – a pris le relai de Nacer Zefzafi à la tête des manifestations, quand celui-ci a été arrêté. Elle a été le porte-voix de Hirak pendant toute une période. Une femme charismatique, déterminée et dotée d’une force permettant de galvaniser les foules. Elle n’a pas de passé politique dans une organisation mais a directement rejoint Hirak lors des premières manifestations pour dénoncer l’assassinat de MOHSIN Fikri. Cette militante se sent liée à toutes les revendications du peuple et elle lutte pour un meilleur futur. Suite à sa première arrestation, elle s’est fait plus discrète.
Notes
1 Hirak signifie littéralement la mouvance
2 La région du Rif est souvent considérée comme une des régions les plus conservatrices du Maroc : femmes peu présentes dans l’espace public, dans les mouvements sociaux, non-mixité omniprésente, …